Plan imposé par le plus jeune, Gun s'est plié sans hésitation aux volontés de Yunwoo ; rien n'est trop demandé pour lui, pas même assister à la projection d'un film populaire d'une franchise dont il ne connaît absolument rien. Yun a beau avoir passé toute une décennie en taule, c'est sans doute Gun qui en a le plus à rattraper. Même si être à la page côté culture populaire ne lui dit rien, il s'est dépêché de sortir sa voiture d'ordinaire réservée aux occasions nécessaires pour aller chercher son ami. Hochement de la tête solennel en guise de salutation, pas un mot pendant le trajet jusqu'au Stargaze ; Yun a appris à se contenter du bruit de la radio pour meubler les déplacements, et ceux qui le connaissent bien n'ont pas besoin d'entendre des mots sortir de sa bouche. Gun ne pose aucune question concernant le film, il suit le plus jeune aveuglément et malgré son air désintéressé, l'envie de prendre part à son monde est présente et il ne tarira pas d'efforts pour s'y faire une place, les sourcils déjà froncés avec concentration alors qu'il se garent face à l'écran énormissime. « Tu veux grignoter quelque chose ? » demande-t-il en indiquant de la tête le stand de nourriture tant que le film n'a pas encore commencé.

les pneus qui crissent sur le béton. les arbres. les bâtiments d'hanseong qui se reflètent sur la vitre, dans ses yeux. la tête rebondit contre l’armature du véhicule, la ceinture qui coupe légèrement la jugulaire. les doigts dansent en rythme sur les cuisses. reine qui domine le silence, la radio chante. pas un mot des deux complices. il y a juste le bruit de la peau du mécanique qui caresse le cuir du volant. et puis le sourire de yunwoo qui reste timide. résilié par le mutisme de son ami, il a appris à comprendre son langage. les gestes, les expressions, les actions. c’est qu’il admire le plus chez son aîné. il agit toujours.

salut, on va voir un film ce soir ?
ok, j'arrive.
l'action.

quand ils arrivent dans l’enceinte du cinéma plein air, les moteurs rugissent par dizaine. à l’entrée, une petite brochure leur ai remise par un employé, yunwoo se jette dessus, passant son bras par dessus sa ceinture, survolant le buste de son ami par la même occasion.

une fois garés, l’ancien taulard consulte la brochure qui résume les films, ainsi que les horaires pour les projections. il souffle un peu en ajustant sa casquette sur son crâne (oui, une casquette le soir, il a même les lunettes de soleil accroché dans le creux du col de son tee-shirt)

il a été victime d’une terrible réalisation, quelques heures plus tôt.

il a été enfermé dix ans. (no shit)

il n’a jamais pensé à tout ce qu’il avait raté en dix ans. le sacrifice peut-être qu’il s’était interdit de trop y penser. sinon, la honte frappe à la porte.
à toujours vouloir garder le sourire, on finit par s’inventer le bonheur.

cette culture sous ses yeux, il ne comprend pas. il ne comprend plus.  il détache sa ceinture quand la voix de gun finit par casser l’harmonie entre le silence et les moteurs qui se coupent petit à petit.

« bonne idée, j'offre les m&m's. attends, juste deux secondes… » il sort une boule d’objets entremêlés de sa poche et la pose sur sa cuisse, sous les yeux du stoïque. paquet de cigarettes, portable, briquet, clés, deux  pauvres billets qui se battent en duel, et des pièces qui tombent à ses pieds « ...merde- » il ricane un peu  « me dis pas que je suis bordélique, encore. » dit-il en ramassant la monnaie. « bon, je reviens. »  il pose ses affaires sur le tableau de bord et sort de la voiture

il revient dix minutes après les bras chargés des bonbons en tout genre, les épaules enroulés, le dos courbé, en sautillant un peu, le bec de sa casquette vers le sol, comme un gobelin qui vient mettre son butin en sécurité. il essaye d’ouvrir la porte sans renverser la moitié, c’est la galère. « au final c’était trop cher au stand…  » (on s'étonne tous) mais il tenait à offrir sa tournée. il trébuche à moitié en rentrant dans la voiture « du coup j’ai légèrement forcé un distributeur qui était un peu plus loin. mais juste un peu. » (flashback de yunwoo qui défonce à moitié le distributeur comme un animal pour en dégueuler quelques paquets de bonbons)  « je sais jamais ce que tu veux donc j’ai pris plein de trucs. » c’est pour toi, gun. sourire cassé par une goutte de sueur après s’être déchaîné comme un démon sur la machine. « au fait, tout ce que je sais du film c’est que captain america est beau gosse. j’ai entendu des gonzesses en parler au stand. » dit-il en offrant son butin dans les bras à la montagne de silence comme une femme de petite vertus offre sa poitrine à son client dans les bois. quel chanceux, ce gun.

psst hors rp:

bras croisés sur sa poitrine, il regarde yunwoo dévoiler les contenus chaotiques de sa poche d'un amusement attendri, son sourire discret suffisant à transformer ses yeux en croissants de lune. il lève les mains en signe de capitulation à sa remarque ; aucun reproche ne quitte la barrière de ses lèvres, yun doit déjà savoir ce qu'il pense et ça ne suffit pourtant pas à changer ses habitudes. gun a appris à s'y faire ; ce sont les petits détails qui font du plus jeune ce qu'il est, un être chéri dont la présence est une des rares qu'il apprécie sincèrement.

il hoche la tête, ses doigts pianotant un rythme inventé sur le volant en attendant le retour de yun. il se demande s'il ne devrait pas voler à son secours, mais le temps qu'il se décide le jeune homme se dressait déjà de nouveau devant lui, les bras débordant de friandises en tous genres que gun n'était même pas certain d'aimer. « oui, juste un peu, » répète-t-il avec un sourire en coin de merdeux, observant yun galérer à s'installer avec toutes ses offrandes sans même lui présenter son aide. il faut assumer ses choix, dans la vie. « c'est gentil. » la gratitude est présente, malgré tout. aussi healthy soit le régime de gun, l'attention de yun le touche tout de même et il finit par le libérer des trésors qui encombrent ses bras, grimaçant légèrement lorsqu'il les étale entre leurs deux sièges. il ne devait sûrement pas s'attendre à ce que sa voiture reste impeccable après une journée avec lui.

le regard glisse sur divers emballages colorés et il en choisit enfin un après avoir retiré ses gants. ses mains fortes font péter le paquet de m&m's et un claquement de langue exaspéré se fait entendre lorsque son contenu se répand partout sur ses cuisses. il pose le paquet éventré à portée de main et s'affaire à ramasser les rescapés au creux de sa paume un par un avec une concentration inébranlable. « c'est lequel, captain america ? » son attention reste tout de même avec yun et il relève le regard vers l'écran où les premières têtes commencent déjà à apparaître après le mythique générique.

complicité entre deux parasites de la société, surveillés par les étoiles, la lune et quelques avions qui passent par-là. l’offrande est accepté. d’un remerciement discret mais apprécié par le plus jeune, le stoïque fait son choix. yunwoo s’écarte et abaisse la tête sur son butin, le temps de choisir, à son tour. jusqu’à ce qu’il entende un bruit qu’il ne connait que trop bien, poisseux de service. un léger « pfffft » s’échappe des lèvres de l’ancien taulard. mais la bouche se scelle rapidement. c'est une image amusante à contempler. gun qui ramasse des bonbons. c'est très certainement parce qu'il veut épargner autant que possible sa belle voiture. désolé, bro.

yunwoo se concentre à nouveau sur ses paquets et choisit des maltesers. il pose le reste sur le tableau de bord devant lui, avec sa boule d’objet personnel qui trône toujours là, dans son propre chaos. ça fait tâche dans la voiture totalement clean de son frère des rues. frère de rien et de tout.

captain america ? il lève la tête vers l’écran géant alors que le générique commence. et c’est là qu’une armée de visages, de costumes, de personnages, tous inconnus, lui saute dans les pupilles. « il a un bouclier boomrang, un truc dans le genre. » dit-il un peu distrait, concentré sur le paquet qu'il s'apprête à ouvrir. moins brutalement que gun. l'occasion de se moquer un peu. il met en avant le plastique rouge et tire sur le trait noir en pointillé délicatement, comme une fleur fragile. grimaçant et jetant des coups d’œil au mécanicien. le genre de technique qui est lente et qui fait terriblement de bruit. qui énerve. une fois la torture achevée, il engloutit immédiatement trois boules de chocolat à la vanille. « tiens ! ché pas lui là ? » non, ça c’est thor qu’il montre très (trop) enthousiaste de son auriculaire alors qu’un bonbon est coincé entre son index et son pouce.  « il est beau goche, ch’trouve. » bouche pleine. mauvais garçon. « j'étais déjà pas le spécialiste des comics avant, alors maintenant. »

(ah.)
avant.  l’enfermement. les cicatrices sur son corps. dans son cœur. dix années de gâchées. loin de sa famille. loin de gun et des autres enfant de la street. leur trio cassé ils ne se sont pas vu pendant tellement longtemps. brièvement parlés au téléphone. que des nouvelles par procuration.  
et gun, il devient quoi ?
et gun, il avait un truc à me dire ?
et gun, il me manque, mon frère.

le visage est triste. mais il ne va pas en parler. pas besoin entre eux. (peut-être que si.) la rétine qui reflète son âme un peu cassée. il chasse les pensées noires et lui sourit. puis il pose l’arrière de son crâne contre le repose-tête, menton en avant. nuque un peu tendu. les muscles tirés.

« comme ils diffusent pas vraiment les derniers blockbusters là-bas, je voulais voir au moins celui-là. mais je me rend compte maintenant que, t’y connais rien aussi, monsieurjeneregardequedesvieuxfilms, (la voix est moqueuse mais remplie d'affection) on va probablement rien comprendre.  »  il tord la nuque sans lâcher l'écran LED des pupilles. « au moins on mange bien. » dit-il en gobant un autre bonbon. la main vient taper légèrement l'épaule de l'autre, toujours sans le regarder. avant de piocher à nouveau dans son paquet, posé entre ses cuisses, il retire sa casquette, frottant la balafre à l'arrière de son crâne, sa manie depuis quelques mois. et soupire.

mais qui sont ces gens, sur cet écran. même les acteurs, il a du mal. il plisse les yeux.
l'angoisse.

esquiver les émotions et refouler le trauma avec des blagues. (c’est très sain.)

sa présence en ces lieux lui est étrange, gun créature solitaire dont la seule préoccupation est son travail et sa seule compagnie les bagnoles qui lui en donnent. les voitures pullulent autour d'eux, le genre du film ne lui est pas familier, pourtant il sait qu'il est exactement là où il devrait être : juste ici, aux côtés de yunwoo. enfin. c'est assez pour faire passer le chaos qui envahit petit à petit sa ford torino, pour pardonner tous les dégâts que yun pourrait causer en cette soirée. sa présence rend le reste insignifiant et il ramasse les m&m's éparpillés sans broncher, rien ne saurait troubler cette virée.

il pose la question par curiosité et la réponse est accueillie avec une confusion anticipée. gun jette une poignée de m&m's dans sa bouche et lève la tête vers l'écran, peu soucieux d'à peine réussir à entendre les voix par-dessus le croquant des friandises. il hausse les épaules ; pas moyen pour lui de reconnaître l'un de l'autre, ce n'est pas lui qui va guider le yun paumé. ni approuver ses goûts en matière d'hommes. « pas mon genre, » murmure-t-il entre deux bouchées sans dévier le regard. il préfère les roux.

avant. ça revient souvent, comme mot. rappel du gouffre qui aurait dû se créer entre eux après toutes ces années et pourtant, c'est comme si de rien n'était. « il est jamais trop tard. » pour lui, pour eux, tout ce qu'ils ont raté et les années lors desquelles ils n'ont pas pu grandir ensemble. et malgré tout le temps n'est qu'un détail pour gun, un concept abstrait que jamais il ne prendra la peine de saisir. des airs d'immortalité instillés par cette insouciance, comme si le passage du temps ne le concernait pas. le monde leur appartient. l'éternité aussi.

« on peut toujours essayer. » discours éternellement encourageant, c'est avec un haussement d'épaules décontracté que gun partage cet espoir de se réapproprier ce qu'on leur avait arraché. il tend la main vers yun, pioche au creux du paquet de maltesers réfugié entre ses cuisses -- what's yours is mine. et le goût du chocolat sur le palais, il reprend avec détermination. « c'est quoi leur histoire, au juste ? »

flou.
ça commence à devenir flou dans sa tête.

ah, le sourire est faux.

les rétines ne décollent pas de l’écran. comme si le regarder, c’est lui avouer la faiblesse.  les mots de l’aîné le font trembler, sans qu’il ne sache vraiment pourquoi. parce que c'est un trop plein d'espoir. le film en arrière-plan est devenu presque muet, tant le plus jeune se laisse tombé dans un torrent de pensées diverses. toutes noires. toutes sans fond. la conversation est entre les lignes.  pourquoi est-ce que ça l'agace, juste maintenant.

les mâchoires se serrent. on peut toujours essayer. les mots l’assassinent d’une nostalgie non voulue. une musique triste dans sa tête, qui tourne en boucle. il pense à sa vie d’avant. avec gun. avec byeol. les bagarres. l’insouciance. la vie. est-ce il pense toujours à son retard en culture populaire et blockbuster ? non. il pense à son retard dans la vie.

il acquiesce en silence, en essayant de sourire, vers gun. mais les lèvres sont mortes. « on peut essayer, oui. » la voix est faible. c’est difficile à cracher. parce qu’il a envie de chialer et il ne sait pas pourquoi. on peut essayer de faire comme si de rien n'était. comme si on s'était vu tous les jours pendant dix ans. du coin de l’œil, il se demande si le plus fort y arrive. certainement. il prend une grande inspiration avant d’essayer de faire disparaître la boule de sanglot dans sa gorge avec trois maltesers. c’est raté, mais au moins le chocolat le calme pendant un instant.

la proximité des deux est naturelle. si gun pioche dans le paquet entre les cuisses, yunwoo prend quelques m&m’s au mécanicien. reflet de l’autre. les actions sont légères mais elles cachent une ombre qui ne cesse de grandir pour l'ancien taulard.

leur histoire ? « ils sauvent des gens. » il a essayé, lui aussi. « ils y arrivent, et ils deviennent des héros, fin. » la fin est aussi amère que la chute. c'est presque surréaliste d'entendre un ton si acerbe qui sort des babines de l'innocent, du naïf.

il est où, le yunwoo à la blague aisée et au sourire à la demande.

une claustrophobie soudaine et dérangeante. comme si la voiture devenait plus petite. comme une cellule. il remet sa casquette, baissant le bec un maximum sur les paupières, l’ombre comme un refuge. « désolé, j’ai besoin d’air, rester cloîtré comme ça, c’était pas la meilleure idée de ma vie. » (haha.)  le rire est forcé.

il ouvre rapidement la porte du véhicule, et sort. un lâche qui prend la fuite, pour ne pas montrer ses émotions. il fait tomber le paquet de bonbons au passage, les boules de chocolats tapissent le par-terre de la ford de son ami.

une fois à l’air libre, le thorax se soulève sous l’aspiration d’un bol frais. mais les dents grincent. il n’ose pas regarder derrière lui, son refuge. il ajuste sa casquette et passe devant la ford. il a envie de s’asseoir sur le capot, comme un thug, mais il pense à gun. aux rayures qu’il pourrait faire à la carrosserie. faut pas déconner, il sait que sa voiture, c'est toute sa vie. la pensée le fait pouffer doucement. alors il s’assoit par terre, sous un phare.  

le film, il le voit presque plus, il n'est plus à niveau. il voit le haut de l'écran. le toit des voitures devant. les étoiles dans le ciel, parce qu'il se brise la nuque pour les regarder.

il y a des bruits d'explosion et des rires.
ça doit être drôle.

l'air entre eux change, devient plus lourd, chargé de non-dits. yunwoo et gun n'ont jamais parlé des dix années précédentes, l'aîné n'a besoin que de regarder droit devant et profiter du moment présent. mais il n'a pas besoin des mots du plus jeune pour comprendre le poids qui pèse sur ses épaules depuis son retour et depuis bien des années avant. il peut le deviner dans la façon dont sa voix faiblit puis gronde avec amertume en réponse à sa question. la légèreté de leurs interactions ternie par le spectre qui semble prendre le dessus sur yun. « aussi simplement que ça ? » demande-t-il, perplexe et envieux. tout semble tellement facile à l'écran. la chance. lui a tant essayé, pourtant il ne sait pas s'il s'en rapproche.

peut-être qu'il n'est pas fait pour ça.
peut-être que c'est lui, le grand méchant loup.
et ce soir il ne veut chasser que la noirceur qui obscurcit les pupilles de son frère d'âme. il ne dit mot quand celui-ci quitte la voiture, laisse ses excuses creuses se dissiper dans l'air pour ne pas en faire résonner le vide peu convaincant. son regard rivé sur les bonbons qui s'éparpillent sur le sol, pourtant peu inquiet ; son attention est ailleurs. les doigts pianotent machinalement sur le volant, comme s'il attendait que la vague passe pour rejoindre yunwoo à l'autre côté du rivage. il quitte le véhicule à son tour furtivement, seul le froissement du paquet de friandises qu'il prend soin d'emmener avec lui et le claquement délicat de la porte signalant son mouvement. et il prend place au sol, à côté de lui.

« want some? »

le paquet tendu vers lui en un geste simple et significatif, offrande qui en dit beaucoup plus qu'il ne parait. je suis là pour toi, qu'il promet en silence, puis tout fort par la lueur dans ses yeux inébranlable dans ses yeux. il agite le paquet avec insistance, attend que le plus jeune se serve pour en faire de même avant de détourner le regard vers le film -- ou ce qu'il parvient à en voir. désintérêt total envers les images qui défilent avec allure, la raison principale de leur présence ici se fond dans le décor et perd son importance alors que l'attention de gun se tourne ailleurs.

« we can get out of here. »

sa voix sonne comme un mirage, souffle clément des cieux venu lui rappeler qu'il n'est pas obligé de souffrir ainsi. gun repose le regard sur yunwoo, sourire discret étirant ses lippes. « we don't have to watch the movie. unless you want to. » seule sa volonté importe, mais il veut bien le pousser dans la bonne direction -- être enfin le pilier, l'étoile polaire qu'il n'a pas pu être pour lui durant la décennie passée. alors il s'adosse contre la voiture, lève lui aussi la tête pour regarder les astres briller au-dessus d'eux avec une clarté qu'il aimerait lui aussi connaître.

« don't need to see heroes on the screen. i got one right here. »

si tu savais comme c’est simple pour eux, gun.

nous, on est maudit parce qu’on est réel.

si seulement il pouvait être un héros marvel, lui aussi. tous ses actes auraient un sens. il serait moins paumé qu’à ce moment. il serait guidé par un script. et il ne serait certainement pas allé en prison pour avoir sauvé quelqu'un qu'il aimait.

assis, bec de sa casquette qui touche  les genoux, la tête prête à exploser sans savoir pourquoi. le déni est puissant dans sa carcasse. il ne veut pas accepter d’être si faible, si endommagé. pourtant, il est à terre, seul. puis les pupilles dans les étoiles. le léger bruit de la porte qui s’ouvre puis se ferme, le cœur s’accélère. l’anticipation de devoir affronter son refuge, peut-être même s’effondrer à ses côtés. pourtant, il le sait. que gun doit venir. (gun, il vient toujours) mais gun, il n’est pas venu pendant dix longues années.

ça le frappe encore plus. il se mord la lèvre. puis l'aîné se dépose doucement au sol, coude contre coude.

il y a d’abord un silence, cassé par le film, les rires, les cris des gens enthousiastes. puis le froissement d’un paquet de bonbons qui se glisse sous les yeux de l’éternel prisonnier. il sourit discrètement en piochant quelques m&m’s. puis sa tête se colle au pare-choc avant de la ford. l'action du plus âgé comble, l'espace d'un instant, le trou béant de son âme. c'est ainsi avec gun. il ne parle pas mais démontre toujours son affection vers le plus jeune. il y a des sourires, des mains posés sur la tête, sur l'épaule.

le froid du métal sur sa nuque.  « merci. » je sais que t’es là pour moi, bro le bonbon en chocolat sur la langue, il retourne dans les cieux. les astres brillent fort. la lune est là. elle l’apaise. combien de fois il s’est endormi en l’observant, dans sa cellule partagée. il avait cette chance, d’être bercée par sa lumière presque tous les soirs.

sortis de ses songes par son frère d’âme, yunwoo le regarde sourire. ça lui pince le cœur.  « j’imagine que le film, c’était qu’un prétexte pour te voir. » prétexte qui continue de se dérouler en arrière-plan. le profil du mécanicien maintenant dans les pupilles de l'honnête.

touché dans l’âme par son homme de confiance. les dents serrées. il renifle légèrement, étouffant un sanglot.

de quel droit ose-t-il lui dire qu’il est quelqu'un de bien ?

yunwoo regarde le pilote, son profil marqué, sa peau éclairée par la nuit mais aussi les images au loin.  « je pensais que j’avais raison de faire ce que j’ai fais. que j’avais rien à perdre, à part ma vie de merde. » les yeux mouillés. « je t’avais toi. et les autres. je suis pas un héros, j’suis un connard. » il crache son angoisse. ils sont isolés, derrière les autres voitures. heureusement, le film couvre tout. on n’imagine pas cette scène dans un cinéma clos, ils se seraient déjà fait éjectés de la salle.

l’ancien taulard secoue la tête. il passe le dos de sa main sur les prunelles noires, pour éviter qu’une larme ne tombe par inadvertance. faudrait pas se laisser trop aller à évacuer les émotions, tout de même.

« t'es le seul qui sait, gun. et ça me va comme ça. »  dit-il en essayant de sourire, la paume de sa main encore dans le coin de son œil, humide. son innocence. que ça l'étouffe. qu'il cache tout derrière un rire et une attitude désinvolte. mais il veut exploser, tout le temps. et parfois, ça part d'une phrase de son ami. il est jamais trop tard. idiot.

il souffle un peu. et cale à nouveau sa nuque sur le pare-choc. puis tourne sa caboche vers gun en croquant le dernier chocolat qu’il avait pioché un peu avant. « en plus de ruiner le film, je nous ruine notre superbe rencard dans ta voiture, désolé. » il ricane légèrement et retire sa casquette en aplatissant sa tignasse brune dans la foulée.

« mais au final, on est mieux comme ça, non ? » sous les étoiles. dans la nuit. stargaze qui n'a jamais mieux porté son nom que maintenant, pour eux.

personne ne peut les déranger parce qu'ils sont invisibles.
parce qu'ils sont ordinaires face à l'extraordinaire sur l'écran, là-bas. loin. très loin d'eux.

furtif et discret, il prend son temps pour se faufiler à ses côtés, s'installer près de lui. lui apporter son soutien, comme il l'a toujours fait et le fera toujours -- comme il aurait dû faire pendant ces dix dernières années.
ils avaient leur accord, promesses que gun n'allait jamais briser pour ne pas éveiller les soupçons. mais peut-être que pour une fois il aurait dû se dérober aux règles ; peut-être que pour une fois il aurait dû prendre le risque, celui de se sacrifier pour yunwoo comme lui l'avait fait pour celle qu'il aimait.

le paquet de bonbon les sauve tous les deux, manoeuvre timide pour les sortir du malaise qui s'installe. « pas besoin de prétexte. » ni de mots, pas entre eux. leurs âmes s'appellent quand elles en ont besoin, cri de détresse résonnant en l'esprit de chacun comme s'ils étaient liés.

« tu t'es sacrifié pour quelqu'un que tu aimes. c'est un truc de héros, ça. » et qu'importe que ce ne soit pas complètement clean, qu'il y ait eu des dommages collatéraux. peut-être que tout n'est pas si blanc et noir qu'il le pensait : peut-être que si, que malgré tout ce que son sacrifice a pu déclencher, ce qui importe est l'action elle-même. il est bon. il est admirable. et gun, il veut être comme lui.
(dix années d'absence qui prouvent qu'il ne le sera jamais.)

la liaison se fait ressentir, intense et indélébile, scellée par le secret qui finira enterré avec eux. gun hoche la tête silencieusement, ses lippes légèrement courbées en un presque-sourire qui se veut rassurant. rappel qu'il peut compter sur lui, qu'il ne dira jamais rien à personne. encore une promesse qu'il regrettera peut-être ne pas avoir brisée. mais yunwoo, il est là maintenant. il est libre, de retour chez lui. et s'il ne sait plus ce que c'est d'avoir un chez soi, pour lui gun le sera ; le repère vers qui il peut toujours revenir.

« pas de quoi. » le ton solennel qui chasse les doutes, fait comprendre au plus jeune qu'il n'a aucune raison d'être désolé. ils sont ensemble, ils l'ont été dans de pires circonstances et jamais il n'y a eu de regret, pas de son côté. ils sont ensemble et c'est tout ce qui compte. du coin de l'oeil il regarde le brun retirer sa casquette, se dévoiler. sourire aux lèvres alors qu'il s'adosse contre sa voiture, lève lui aussi la tête vers la voûte céleste au-dessus d'eux. « c'est pas trop mal. » litote de l'amoureux des étoiles, qui pense que la vie doit sûrement être plus simple, là-haut.

il se laisse happer par les rêveries enfantines, l'espace d'un instant. les astres qui scintillent au-dessus d'eux et rien d'autre, à part le froissement du paquet et les bonbons qui craquent sous leurs dents, dose de douceur tant nécessitée.

« si tu as faim, dis-le moi. je connais un endroit. »