Chaque semaine était la même routine pour Yerin, et elle attendait avec impatience le même jour: samedi. Un soir de week-end, mais pourtant l’ancienne noble travaillait tous les jours, car au sein du palais, la médecine était une exception aux jours de congés, bien que son emploi du temps était plus laxiste aux vues de sa branche. C’est d’ailleurs avec soin qu’elle prit la petite balise qui lui permettait d’être appelée en cas d’urgence au Palais. Mais ce soir, son attention était tournée vers un ami très cher à son coeur. Il avait été là dans la vague infernale qui avait déchiré sa vie familiale jusque là si paisible. Kibeom était l’homme qui l’avait écouté, rassurée et consolée à maintes reprises. Oh non pas consolée dans un sens charnel, mais quand les jours de Yerin étaient bien sombres, il avait toujours été là pour apporter de la lumière et de bons conseils. Si elle appréciait fortement cette attention à son égard, l’ancienne noble avait pris l’habitude d’être également un soutien pour lui. Après tout, Kibeom avait vécu le pire qu’un enfant pourrait connaître: la perte de parents, et ce, dans un espace temps si étroit. Malgré son incapacité à le comprendre jusqu’au bout, Yerin avait tenté de le consoler également. Trop vite jetés dans le monde adulte, les deux jeunes gens avaient trouvés une sorte d’oreille, et de chaleur humaine chez l’un et l’autre, et cette entente était restée jusqu’aujourd’hui.

Finissant son servie, Yerin quitte son cabinet, vérifiant que tout était en ordre pour ensuite passer à sa chambre pour se changer, et sortir rejoindre Kibeom à leur lieu de prédilection: barbecue coréen. Les murs du palais n’étaient pas surs, et elle n’avait pas envie que leurs mots ne soient entendus, alors quoi de mieux qu’un bon repas entourés par des inconnus ? Personne ne les connaissaient, sauf les propriétaires du restaurant qui s’évertuaient de leur donner des gratuités à chaque fois qu’ils venaient. Yerin regarde son téléphone, elle était à l’heure alors décida de descendre du palais à pieds où elle prendrait ensuite un taxi pour rejoindre la ville. Sortir du palais était une bouffée d’air, une pause presque vitale pour ceux qui ne supportaient pas de rester tous les jours dans cette forteresse où vous n’avez aucune intimité ou presque. Chaque mot, chaque geste pourrait vous être fatal, et c’était aussi pour cela que les deux amis avaient commencé à sortir en dehors du palais lorsque Yerin s’y était installée il y a peu.

Elle se sentait joyeuse à l’idée de voir son ami et comme il était l’homme qui en connaissait plus sur elle que sa famille, elle était aussi impatiente de lui révéler les dernières frasques en date. Le taxi la dépose à l’entrée de la rue. Elle se dépêche de rejoindre Kibeom après avoir payé le conducteur, ouvrant la porte du restaurant non sans lancer un « bonsoir » enjoué aux propriétaires des lieux. Pas la peine de chercher Kibeom, elle sait déjà où il est. Leur place habituelle n’a jamais changée depuis leur récurrente visite, alors c’est avec aplomb qu’elle se plante face de lui, posant son sac sur la chaise à côté de la sienne avant de s’asseoir sur la libre. « Me voilà, enfin ! » Soupire-t-elle avant de lancer un sourire au garde du corps. « J’ai des choses à te raconter, j’espère que toi aussi » ajoute-t-elle en nouant ses cheveux en une queue de cheval non sans cacher un sourire en coin qui annonçait déjà la couleur.

Ta journée a été riche en surprises. Rien ne s’est passé comme tu l’avais prévu ce matin. Alors oui, tu as pris ton habituel petit déjeuné avec Leo. Et oui, l’ensemble de ta matinée a tourné autour des armes avant que tu n’ailles faire du shopping. Mais c’est là que la réalité t’a mis une gifle. Et tu avais besoin de parler. De te vider sur quelqu’un avant que ton cœur n’explose de panique, d’excitation, de douleur. L’avalanche des émotions déclenchée par la surprise de ta rencontre avec Wen à chambouler l’équilibre précaire sur lequel tu te tenais percher tel un funambule. Alors tu ne lâches pas la montre accrochée au mur du regard, attendant avec impatience l’arrivée de Yerin que tu sais imminente.

Yerin, c’est ta personne. Tu es bien entouré et tu le sais. Mais le lien que tu partages avec elle a été forgé dans le désespoir d’une perte tragique d’un côté comme de l’autre. Adolescents pris dans les filets de la vie, vous vous êtes accrochés l’un à l’autre pour vous en sortir et devenir ceux que vous êtes aujourd’hui. Elle est celle qui te pousse à t’ouvrir aux autres, à être moins paranoïaque. Elle garde tes secrets inavouables. Ce qu’elle sait sur toi pourrait détruire à jamais la réputation que tu as passés plus d’une dizaine d’années à former. Et la réciproque est vraie. Tu étais là pour elle. Dans le meilleur comme dans le pire. Tu l’as ramassé à la petite cuillère après qu’elle ait forcé sa rupture avec Eden. Tu sais tout de ses coups d’un soir. Tu portes ses confessions quand elle a besoin d’une oreille attentive, objective. Tu la protèges par ton empathie et ton amour. Et elle, elle te rend la pareille.

Tu passes une main sur ton visage. Tu es encore sous le choc, ton palpitant bat plus vite qu’à son habitude et tu angoisses. C’est rare que tu sois dans un tel état et c’est pour ça que tu demandes déjà les bouteilles de soju avant que ta meilleure amie n’arrive. Bientôt, ce ne sont pas que les bouteilles qui arrivent, mais tout ce que vous commandez chaque samedi soir. Il semble que la patronne ait un faible pour toi. Elle t’a mis la main aux fesses plus d’une fois à la fin de ces soirées quand tu essayais de la payer et tu trouves toujours ça drôle. Mais aujourd’hui même se souvenir ne te tire pas du flot qui te submerge. Tu ouvres le récipient vert, buvant au goulot. C’est la première fois que tu fais ça. Commencer avant que Yerin arrive, mais c’est un cas d’extrême urgence.

Il ne se passe pas plus de cinq minutes avant que ladite jeune femme ne soit en face de toi, un sourire coquin peint sur ses lèvres, les yeux brillants de potins juteux. Toi, tu tires juste la tronche avant de lui dire, sans même la saluer. « Et si on buvait d’abord. » Tu enchaînes en t’enfilant rapidement une autre gorgée de soju, ne lâchant pas Yerin des yeux. Puis tu reposes la bouteille dans un geste brusque avant d’annoncer. « Je crois que je suis dans la merde. Non. Je ne crois pas. Je suis dans la merde tout court. »

Elle a eu à peine le temps de se poser qu’elle voit son meilleur ami boire…à la bouteille. Ses lèvres s’ouvrent sous la stupeur. Pour que ça arrive, Kibeom devait vraiment être stressé. La belle se pince les lèvres avant de retirer la bouteille de devant son ami pour remplir son propre verre. « Si tu veux boire avant, bois au moins dans un verre au lieu de boire au goulot, c’est malpoli. » marmonne-t-elle en reposant la bouteille alors qu’elle commence à disposer la viande sur le grill. « Ça m’a l’air plus urgent que mes propres potins…M’enfin, racontes au lieu de te saouler sans moi !» dit-elle, la pince entre la main, le réprimandant avec son regard boudeur. Elle s’attendait

Il est vrai qu’il était vraiment rare de voir Kibeom aussi…déprimé ? Non ce n’était pas le mot, mais disons découragé. La belle se doutait déjà que cela avait à voir une personne, car il était rare que Kibeom soit dans ses états pour de simples broutilles matérielles. Elle le connaissait assez pour le dire, mais elle attendait juste qu’il confirme ses pensées. Portant son petit verre de soju à ses lèvres, elle engloutit le liquide âpre avant de froncer les sourcils. La première goulée était toujours la plus dégueulasse selon elle. Regardant le fond de son verre briller, elle se remémorait de leur première cuite ensemble. Yerin était fraîchement majeure, et bizarrement, Kibeom avait attendu qu’elle le soit pour qu’ils puissent boire ensemble pour la première fois. Chose faite, les deux jeunes adultes s’étaient alcoolisés, rentrant complètement bourrés chez Yerin ce soir là. La mère de Yerin avait fermé les yeux sur cette soirée où les deux jeunes gens étaient complètement morts de rire sur le canapé à raconter n’importe quoi, sans queue ni tête. Fort heureusement, personne n’était tombé malade, juste leur dignité de jeunes consommateurs d’alcool quelque peu heurté le lendemain. La première cuite avait marqué leur tradition de beuverie commune et elle n’avait jamais cessée jusque là.

Yerin lève les yeux, faisant bien attention à ne pas laisser brûler la viande, attendant que Kibeom lui vide son sac. Généralement, l’ancienne noble s’évertuait à tout écouter sans l’interrompre, sauf quand vraiment ce n’était pas possible à cause d’un éventuel élément évident. Or, à cet instant, elle ne savait pas vraiment les devants et aboutissants de l’histoire qu’il était sur le point de lui raconter. Yerin savait aussi qu’elle n’était pas forcément la meilleure personne pour donner des conseils, cependant Kibeom était comme son grand frère alors pour lui, elle s’efforçait de trouver des solutions à ses problèmes…Enfin elle l’espérait. Dans un coin de sa tête, elle savait aussi que Kibeom ferait de même pour elle. Il avait toujours été là quand elle avait besoin de lui autant dans ses petits problèmes de la vie quotidienne que pour ses peines de coeur…Sa peine de coeur qui ne la quittait pas.