on dit que l’art est subjectif et selon lui, la musique l’est aussi. il est facile de noter un genre que l’on aime, d’en juger le talent des musiciens et revenir si les performances nous plaisent. dans le cas inverse, on lance des “pas trop mal” et on oublie leurs noms. nombreux sont les artistes qui méritent plus de lumières qu’ils n’en reçoivent et les chaos radio en font partie. junha était installé au bar toute la soirée, un cocktail à la main à fredonner les airs qui passaient. ça faisait un petit moment qu’il n’avait plus assisté à l’une de leurs représentations, les raisons multiples. occupé à composer ou chanter sur les places de yesul-gu. il lève les yeux une dernière fois sur la scène et son regard accroche un sourire oublié, une chevelure dorée et un charisme qui le séduirait, s’il n’était pas déjà tombé entre ses filets dans l’temps. eux deux, ça remonte et eux deux, ça ne s’est pas si bien terminé. les raisons encore floues dans son esprit insouciant. juri. elle était drôle et spéciale. une amie avec qui il partageait plus qu’un amour pour la musique, plus que des duos infernaux au synthé, plus que des nuits passionnées. mais ils ont tout perdu et le karma lui murmure souvent que la faute est sienne. c’est vrai, il n’a pas si bien agi en l’ignorant. mais à l’époque, elle n’était pas la seule qu’il abandonnait et puis tout s’est enchaîné, les jours ont filé, les semaines et les mois sans qu’il ne pipe mot. aucune explication, pas même une excuse à la con et peut-être que ça les aurait sauvé. peut-être qu’ils ne se provoqueraient pas tant à chaque rencontre. peut-être que junha serait plus sympa, mais face à l’amertume de la jeune femme, lui jette de l’huile sur le feu. toujours, peu importe les bons sentiments qui lui traversent l’esprit de temps en temps.

il voulait s’en aller avant la fin, mais sa curiosité l’a fait rester et son audace l’a condamné. la foule se disperse et les tables se vident, mais junha reste là. on passe d’autres sons et l’ambiance se calme, il n’y a plus autant de tumultes et sa patience paie lorsqu’il aperçoit une tête familière s’approcher du bar. « belle performance, mais je ne sais pas… je t’ai connu meilleure, blondie. » et peut-être qu’il n’aime pas le fait qu’elle l’ait rayé de ses répertoires. peut-être que son ego a été blessé et que c’est sa façon de lui répondre, avec puérilité. « t’as mal révisé tes accords ? » même si en vérité, il n’y a pas grand-chose à redire et qu’il ne veut que se montrer. ouvrir sa gueule, la provoquer. même s’il n’est pas sans connaître les conséquences. il est conscient de sa connerie, mais ça ne l’arrête pas pour autant. oui, il y a vraiment quelque chose qui le frustre entre eux, depuis de longs mois. comme si un morceau manquait à leur histoire. pourtant, aucun d’eux ne semble prêt à poser la dernière pièce de ce puzzle chaotique. pour ça, il faudrait déjà la trouver.


@nam juri

La nuque en compote et les cervicales crispées, Juri pour la dernière chanson pianote sur son synthé'. De son pied botté d'une Doc Martens vielle et usée, elle bat le rythme et reste concentrée sur les notes acidulées et sensuelles, imprudence d'un doigté expert, pleine d'agilité, accompagnant le chant sulfureux de Saem, un sourire aux lèvres, les cheveux dansant. Si la fatigue se lit sur ses cernes et sur ses pommettes ombrées, ses dents rayonnent sous les projecteurs et ses fausses lunettes de Soleil aux verres roses lui donnent meilleure mine, charisme indéniable d'une artiste qui ne cherche qu'à profiter de la musique. Les cloques aux chevilles, la sueur le long de son dos, l'anxiété des examens qui approchent, ça n'a pas d'importance quand elle est sur le bois de la scène, remuant du bassin éprise de la mesure que donne Sang.

C'est une transe; elle oublie tout ça, le reste n'a pas sa place dans ses veines, le stresse n'a pas son espace dans sa tête, pleine de notes : noires et blanches, juste à suivre la mélodie et à vouloir finir ce paradis en beauté. Juri, dans ses souvenirs, dans ses idées, inspirée et aspirée, ne remarque qu'à peine quelques têtes, elle avait cherché celle de Yunwoo les premières minutes mais avait abandonné quand cela la fit toute trembloter. Alors, aveuglée par les spots, il n'y a plus que Chaos Radio et sa splendeur.

Ô tristesse, la fin arrive trop tôt, ça arrive toujours trop tôt, les derniers mots, les dernières paroles; le son redevient plat, acouphènes prenant places, glas de l'apocalypse. C'est comme manquer sa drogue, à peine arrêtée que Juri a peur de la descente, tous les problèmes reviennent telle une vague, un tsunami. Elle inspire, expire, reprend son souffle saccadé, volonté de retrouver la terre. Le groupe rentre aux loges pour poser leurs instrus, on l'aide avec son synthétiseur et sa guitare, pendant quelques minutes, elle reste assise, dans l'appréhension de croiser celui qu'elle veut revoir à nouveau, celui à qui elle n'a pas osé demander par avance s'il voulait lui, la retrouver cette soirée. T'auras rien si tu demandes pas, ma pauvre fille.

Si seulement la patience était son fort, parce que ça la démange trop, ça la bouffe et la ronge, elle crève de savoir s'il est venu ou non, Juri ne se fait pas attendre, sortant après avoir juste pris une gorgée d'eau et une serviette au cou épongeant encore sous son tee-shirt et son visage, le noir de son mascara tâchant le coin de ses yeux. « Junha ? » C'est presque surprenant, et peut-être un peu décevant, les sourcils froncés derrière les carreaux funky rosés, elle n'est pas ravie de le croiser, lui ! Un grognement s'échappe sans aucune timidité de sa gorge et toute l'euphorie s'envole et la rancune s’empare d'elle, amère invasion, putain ça, elle n'y avait pas songé. « Et tu as oublié à qui tu parles, peut-être ? » ça part du tac au tac, détournant le menton vers la direction du barman pour demander un mojito sans alcool. « Heureusement que ton avis ne m'importe peu, le public a été réceptif et c'est ce qui compte. » Parce qu'elle sait de quoi elle est capable et n'a pas besoin qu'on vienne médire. Surtout ce type.

Même si au fond, cet enfoiré connaît son égo : qu'elle aime avoir l'impression d'être parfaite et l'idée de ne pas l'avoir été sur sa performance risque de maintenant la titiller toute la nuit : Si seulement elle n'avait pas le crâne chargé de tous ces problèmes et autres péripéties de la vie. « Tu n'as pas autre chose à faire un samedi soir ? Comme... » Et c'est sûrement très dramatique, une attitude solaire et féline, attrapant la paille en métal de son verre et la portant à sa bouche pour prendre une gorgée, laisser un soupire de satisfaction puis, Juri l'observe de haut en bas et hausse une épaule d'un air complètement désinvolte. « Ne pas répondre à mes messages ? ». Remuer le passé, elle ? Non... Jamais.

Comme d'habitude, quoi. « Je jurais pourtant qu'on avait autre chose à faire que semblant d'être amical toi et moi, non ? Tu n'as pas... Je ne sais pas... Quelqu'un d'autre à aller bai-... Faire chier ? » Elle suppose qu'il a simplement trouvé mieux et ça la gave... Il est vrai qu'ils n'étaient pas engagés mais rien qu'à sa vue, elle a des picotements tout le long de son échine et un pincement entre les côtes, désagréable amertume, encore quelqu'un pas capable d'assumer ce qu'il pense et ses sentiments : Hypocrite, pense-t-elle. Elle aurait totalement compris s'il lui avait dit quelque chose, n'importe quoi. Non. Il l'a juste... Ghosté, fantôme qui l'a hanté quelques semaines et peut-être quelques mois. Dire qu'il ne lui avait pas manqué serait mentir, non, elle avait voulu revoir Junha et elle était prête à venir chez lui...

Sauf qu'elle n'était que cette bonne copine avec qui on couche de temps en temps, n'est-ce pas ? Un poids qui la suivit et l'agrippa aux épaules. Peut-être que ce n'est qu'une excuse pour ne pas avoir voulu lui courir après, trop blessée dans sa fierté, trop lâche. Fais chier. L'histoire n'est pas que blanche et noire d'un côté, comme avec Yunwoo, elle a laissé le gars filé et a fuit ses responsabilités. Qui-est vraiment l'hypocrite ?

Claquée par sa longue journée et sa soirée, Juri grimace et s'assoit sur un tabouret, reprenant sa paille entre les incisives et appuyant son menton sur sa main et fixant le vide, lasse. « Si tu es venu pour me dire quelque chose, sache que tu avais des mois pour le faire mais que tu n'as jamais eu les couilles. Donc, c'est peut-être un peu tard. » Et au fond, pfff, qu'importe les raisons qu'il a pu avoir, non ? C'est terminé et tant pis. Junha, c'est le type avec qui elle s'est amusée, le type qui partageait musique, synthé et bonne humeur d'un rictus aimant. Junha, c'était un chic type, ce mec là à côté d'elle, connaît pas. C'est pas le gars pour qui elle eut fondu il y a quelques temps de ça. Du moins, elle évite de trop le dévisager : lui et sa mâchoire trop bien taillée, ses grandes mains tentatrices et ses pupilles envoutantes.

Fuck. Je disais "Ce connard". Oui. Voilà.

@Ryu Junha

il n’y a pas doute quant aux raisons de sa présence, ce soir. il n’y a pas qu’une envie d’apprécier de la bonne musique dans un lieu sympa. il y a une once de provocation derrière ses sourires. l’homme n’a pris que deux verres depuis son arrivée et il sirote toujours le second, cocktail sucré. un gin tonic pour ne pas changer. il aurait pu s’en aller, mais l’alcool a ça de bien qu’il rend nos pensées plus honnêtes et il est resté collé à son tabouret. il pourrait ne pas la croiser du tout si la musicienne décidait de rester derrière ou mieux, de partir peu après ses performances. le groupe pourrait très bien aller fêter leur soirée ailleurs et junha se serait senti bien bête, mais la chance lui sourit lorsqu’il voit la douce arriver de son côté. p’tit con jusqu’au bout, junha fait l’impasse sur les politesses et l’attaque dès les premiers mots. coup bas sur sa performance qui selon lui, laissait à désirer et il pourrait sûrement énoncer un ou deux défauts, mais rien de notable. même lui commet des erreurs de ton parfois, parce que ce sont les aléas du direct et que la perfection n’existe qu’en studio. pour autant, il jugerait le concert parfait s’il n’avait aucune animosité envers l’une des artistes. « ils n’ont pas tous les capacités de juger. » dit-il en désignant son oreille. « j’dirais qu’ils ont été réceptifs à autre chose que tes p’tites notes, beauté. » il est le premier à condamner ce genre de commentaires sexistes, mais il devient aussi le pire des chiens lorsqu’on se le met à dos. mélangez ça à l’alcool et le tout sera explosif.

il se fiche bien de provoquer un séisme dans leur relation déjà cabossée et si la terre se fend en deux sous leurs pieds, la faute viendra des deux côtés. junha s’enfonce dans ses conneries, mais juri lui tend la perche quand elle pourrait la jeter au loin. elle revient sur le passé dans un sous-entendu qui ne provoque qu’un sourire sur le visage de junha. il se sent toujours coupable d’avoir laissé leur relation mourir sans une explication, sans même un signe de vie, mais il avait trop honte à l’époque. sa vie prenait un tournant imprévu, tout s’effondrait autour de lui et sa défense a été de s’isoler. son p’tit frère en a fait les frais aussi et bien sûr qu’il le regrette. ce qui les a enlisé dans cette rancune réciproque, n’est que le fruit d’un mauvais enchaînement. junha aurait pu s’excuser auprès d’elle, le jour où ils se sont revus, mais non. il a montré les dents et elle s’est défendue, naturellement. elle se défend encore ce soir, à coup d’ironie et de moquerie méritées. « alors je ne peux plus profiter d’un verre au bar sans que tu ramènes tout à ta p’tite personne ? je ne te force pas à rester là. » c’est vrai, pourquoi n’a-t-elle pas tourné les talons pour l’éviter ? il l’entend à sa voix, le comprend à ses mots. la rancoeur est toujours aussi fraîche, comme s’ils s’étaient quittés le mois dernier. « je n’ai rien d’autres à faire, non. » il lui épargne une mauvaise pique, malgré tout. il ne veut pas la blesser plus qu’elle ne l’est déjà, ce n’est pas ça. pas sur ça, du moins. il n’est pas là pour l’humilier, même en mensonges, même pour s’amuser. il est fier et con, mais ce n’est pas un salaud. il l’aimait bien, assez pour regretter leur amitié… assez pour regretter de ne pas avoir essayé. de tous, à l’époque, elle était sûrement la seule à pouvoir le comprendre mieux que quiconque. mais le passé ne peut être changé. sa nature non plus ; fâcheuse habitude de préférer la solitude quand tout s’assombrit. son gin a un goût de nostalgie, une grimace quant à l’amertume qui reste sur ses lèvres.

elle lui rappelle sa lâcheté après un silence froid et il soupire, las. épuisé par le manque de sommeil, plus que ses compos, ce sont les doutes et les peurs qui le tiennent éveillé la nuit. ne pas savoir où il sera dans un mois, six ou un an. ne pas savoir s’il a pris les bonnes décisions, s’il ne court pas à sa perte. ne jamais savoir ce qu’il se serait passé, s’il était revenu parler à juri quelques semaines après. « je l’admets, j’ai eu tort. » pour autant, les excuses ne trouvent pas chemin vers ses lèvres. elles restent muettes, cachées derrière une porte blindée. « mais t’as pas cherché à m’revoir. t’aurais su, on te l’aurait sûrement dit. et si c’est l’cas, t’en as rien eu à foutre non plus. » il hausse les épaules, finit son verre en une longue gorgée et laisse une bonne minute passer avant de clarifier ses vagues déclarations. « j’ai disparu sans rien dire et y’a que mon frère qui s’en est inquiété. j’dis pas que ça m’excuse, j’ai été un vrai connard avec lui aussi. j’dis juste que tu ne m'as donné aucune bonne raison. » il n’est pas venu pour arranger les choses, mais il n’avait pas prévu de balancer cette histoire non plus. elle l’a provoqué et il s’est défendu, même s’il doute que ça l’aide dans ce duel de flatteries. il s'enfonce un peu plus, mais c'est plus comme s'il en avait quelque chose à faire.


@nam juri