Il serait hypocrite de la part de Hyun de condamner tout un panel d'attitudes entêtées et paradoxales, mais il n'était plus à un défaut près. L'indécision n'avait jamais été un de ses vices; perpétuellement boosté par une légère arrogance qui tuait dans l’œuf tout doute et risque de regret. Janghyun ne tergiversait pas, s'ancrant à la moindre de ses décisions sans un coup d’œil par dessus son épaule. Un monde tranché en noir et blanc qui trouvait une certaine légitimité dans cette existence parsemée d’embûches. Alors l'attitude d'une certaine Khan Haeri? Hyun n'en comprenait pas la foutue logique. Inévitablement, Hyun s'était trompé de cible. Lui qui avait passé des années à écumer de rage face à la lâcheté des Khan - et, oh qu'il était toujours en colère - avait toujours cherché la validation de sa haine auprès de ses proches, tantôt encensé d'en observer les échos, tantôt offusqué d'en remarquer l'absence. Notablement, chez son frère jumeau. Qu'il ne puisse sacrifier leurs anciens alliés sur l'autel métaphorique de leur honneur lui avait paru inconcevable. Qu'il se préserve au nom d'une amourette lui avait paru
risible. Hyun n'avait pas attendu pour tous les damner; Haeri incluse, aussi douce et sincère leur amitié ai-t-elle pu être. Celle qui devait devenir sa sœur par les liens du mariage se voyait devenir un témoin impassible parmi tant d'autres; un plaidoyer inexistant aux lèvres et une prise de position aussi sourde que douloureuse. De toute manière, qu'y avait-il à gagner à faire le tri parmi toute une foule qu'ils ne pourraient plus jamais approcher? Pendant des années, Janghyun n'avait pu pousser Won à partager sa hantise, et il avait fallu attendre ce second procès pour que son jumeau y consente par lui-même. Peut-être la seule bonne chose à découler de ce cauchemar. Il était temps qu'il passe à autre chose. Mais c'était sans compter sur la
princesse. Lorsque Won lui avait raconté qu'elle s'était présentée à la soupe populaire (l'ironie de la chose, le
culot) et qu'il avait dû s'occuper d'elle après qu'elle se soit évanouie, Hyun avait réalisé que le nouvel état d'esprit de son jumeau n'allait pas suffire. Pourquoi s'acharnait-elle? Ne comprenait-elle pas qu'elle faisait plus de mal que de bien? Une naïveté enrobée de soie, inconsciente des souillures qui se languissaient d'y laisser une trace permanente. Il n'y avait pas de
happy ending, pas de Roméo et Juliette prêts à se briser les rotules pour la rédemption de leurs vœux. Mais si Haeri était tant désespérée de connaître le monde de son ancien fiancé, alors Hyun allait lui montrer. Il était prêt à l'embarquer sur la route panoramique de leurs épreuves; là où leur nom n'était qu'une punchline pour toute une foule prête à les tailler en pièce à la moindre itération d'une ligne de défense. Il allait lui montrer qu'il n'y avait plus de place définie juste pour elle dans le monde de Won. C'était presque revigorant d'avoir un plan. Un stratagème bancal, indigne d'être nommé de la sorte, mais qui se satisfaisait de sa cible. Les Khan, ces ennemis intouchables qui alimentaient la frustration d'une vengeance théoriquement impossible. Haeri n'était qu'une pièce fragile de ce puzzle infernal - presque insignifiante - mais c'était toujours mieux que rien. Forcer une rencontre fut plus simple qu'il ne l'aurait anticipé, et comme pour beaucoup de choses, internet était à remercier. Les réseaux sociaux se donnaient à cœur joie de documenter les apparitions de leur élite couronnée, et c'est profitant de la beauté de la nature - parfois un appareil photo à la main - qu'Haeri apparaissait en protagoniste discrète et charmante sur les fils d'actualité. Le hasard n'avait alors eu aucun rôle à jouer lorsque Janghyun repéra la silhouette de la princesse, après près d'une heure à parcourir le parc. Elle n'était évidemment pas seule - éternellement accompagnée,
protégée - mais Hyun ne s'en formalisa pas. Il fit un léger arc pour se trouver sur son passage, et tandis qu'il s'approchait et croisait son regard, il se demanda si son cœur aller manquer un battement en pensant, pendant une brève seconde, qu'il s'agissait de cher amour perdu. No such luck.