les gouttes d’eau s’éclatent contre le pare-brise des plus chanceux. le parapluie qui protège les plus préventifs. et puis il y a lina qui a les pieds qui traînent dans les flaques d’eau et dont la tête fait ricochet des gouttes de pluie. (( c’était comme s’il pleuvait constamment en elle )) peut-être que l’eau allait emporter avec elle tous ses maux ? tous ses malheurs.  naïveté de la gamine qui avait déjà trop subi. elle dont on lui avait arracher les ailes ;; il ne fallait pas voler aussi icare.
alors elle ne volera plus jamais.
comme si le chaos ne pouvait être pire que de voir une silhouette si similaire à celle qui avait décidé de marcher seule. de marcher sans elle. l’enfant se frotte les yeux pour faire disparaître ces pleurs l’eau qui coulait de son visage mais ne parvient à identifier correctement la figure masculine. et lorsque le désespoir vit dans cette coquille vide, elle sent son impulsivité la pousser à la suivre, à accélérer le pas jusque lui.
jun, jun, jun.
ce prénom qui résonne encore et toujours dans son âme.
tu es donc revenu me voir.
l’illusion d’un être que l’on avait manqué. cette personne qui était son tout, celui qui lui avait refait goûter à la vie. et celui qui s’en alla en emportant avec lui une part d’elle. « jun » la voix tremblante qui énonce son prénom avec tant de détresse. retourne toi ;; sauf qu’il ne le fait pas. une fois de plus, elle sent un torrent de larmes s’abattre sur son visage.
aveugler par la tristesse.
aveugler par l’obscucrité de la nuit.
aveugler par ses désirs les plus sombres.
ses bras viennent entourer sa taille comme pour l’empêcher à faire un pas de plus. « ne t’en vas pas jun. ne m’abandonne pas une fois de plus. s’il-te-plaît jun. ne pars pas »  

Peau humide pour corps en fusion. Toujours contradictoire jusque dans les gênes, c'est qu'on a jamais appris à être conforme. Ou alors son modèle c'était lui et lui était pas "normal" non plus, puis lui n'est plus là depuis quelques temps maintenant. Les gouttes choquent le derme, l'assaillent sans merci, s’abattent sur cette chaire de poule qui ne sait même pas quel réconfort demander. Parce que l'âme en peine ne trouve même plus de joie dans ce qu'on appelle les petits bonheurs de l'instant. Éternel menteur, Chan fait seulement semblant. Depuis toujours en réalité, mais encore plus depuis quelques mois.

Il est le reste de son frère. On voit le reflet du défunt sur son faciès, les yeux qui l'observent sont teintés d'une tristesse qui ne lui est pas destinée. Parce qu'on se rappelle tous de lui, mais on oublie que Chan respire encore, et il le fait avec difficulté.

Alors les pieds pataugent sans but dans les flaques. Parce que c'est pas forcément drôle, l'enfant s'est pas réveillé ce matin. C'est le moment de la rechute après la prise de ké. L'euphorie a disparu et pour se vider l'esprit des pensées morbides, faut le remplir d'air pluvieux. Cône à l'odeur forte coincé entre les lèvres se bat avec la pluie, bédo sur quoi tous les espoirs reposent : l'apaisement est demandé, même s'il ne dure que deux minutes, on prend. Alors la carcasse avance lentement, tangue un peu, menace de s'effondrer sous un poids connu que d'elle, mais elle ne s'arrête pas. Rien n'a de sens et pourtant ça lutte encore pour vivre...

Et la voix retentit... sa voix à elle. Elle, la pire d'entre tous. Celle dont les yeux sont le plus teintés, celle qui partage trop de sa douleur, celle qui lui rappelle à chaque regard qu'il n'est plus là, que Jun est parti. Il veut pas l'écouter, il veut pas l'entendre, il veut pas la regarder, il veut pas la voir. Alors il ignore. C'est sans compter sur cette paire de bras faiblards de tant de désespoir qui le prennent au piège. Laisse-moi... Et la colère monte, le chagrin broie les entrailles, la rancœur noie la bouche. Les sourcils se froncent, le corps se tend violemment et la silhouette stoppe tout mouvement. « Jun est mort. »

Les mots sont brutaux, mais réels. Il n'est pas Jun, il ne l'a jamais été et ne le sera jamais. Alors le démuni se retourne pour lui faire face, les yeux humides – faute à la pluie. « Moi c'est Chan putain! » Elle a pas fière allure Lina, mais Chan non plus. « Tu pars en vrille c'est pas possible ! » Qu'on arrête de voir Jun en lui, qu'on arrête de lui demander ce que Jun aurait fait à la place d'untel, dans cette situation-là ou celle-là encore. « Jun est mort... » pendant que nous on vit...

l’enfant qui s’était noyée dans cet océan de larmes croyait enfin voir la lumière. celle qui avait rejoint les étoiles et brillait étonnamment plus que les autres. celle qui guidera chacun de ses pas dans la profondeur de la nuit. le cœur ne veut que lui alors elle ne voit que lui. les larmes, elles, floutent ce que son cerveau se refuse de voir.
non, la réalité n’est pas si dur avec toi lina.
non, tu n’est pas en souffrance lina.
et c’était ce que ses illusions lui faisaient voir. ce monde de tromperies, de bonheur éphémère qui n’aura que don de rendre la poupée encore plus cassée qu’elle ne l’est déjà. si lina s’enveloppe dans cette réalité virtuelle dont elle-même en tient les ficelles, alors qu’une autre personnne essaie bien vite de la ramener sur la terre ferme.
trop rapidement, trop brutalement.
paradis perdu.
les larmes dévalent ses joues, se mêlent à pluie pendant que lina reste paralysée serrant le corps de chan entre ses bras. elle entend chacun des mots qui s’échappent de sa bouche et pourtant elle faisait comme si elle ne les comprenais pas. « mais qu’est-ce que tu racontes, tu es juste- » devant moi des mots interrompus par ce visage qui n’était pas le sien. et encore une fois, elle y avait cru. que tout n’était que cauchemar et qu’elle ne venait que de se réveiller. le visage de chan qui dégage tant de familiarité. tant de souvenirs, tant de tristesse. elle qui venait de lui cracher les mots peut-être les plus douloureux pour lui. de voir jun en lui. cette réalité était à double tranchant ;; en le blessant, elle se blesse aussi. « jun est mort… » des mots qu’elle répète avant d’éclater en sanglot. des mots qui lui donnaient toujours cette sensation de vide. cette volonté de le poursuivre. cette envie de tout abandonner. encore et encore. son corps se recroqueville au plein milieu de la rue. « chan… » un cri désespéré, un cri d’à l’aide ;; car il n’y avait que lui qui pouvait comprendre sa douleur. « il me manque.. tellement » de sa voix étouffée, elle pleure le défunt.

Il la comprend, il ressent ce qu’elle ressent. Lui aussi est perdu sans Jun, ses yeux à lui aussi voient parfois sa silhouette dans les recoins de la ville, mais le cœur meurtri lui rappelle sans cesse la douleur de la vérité. C’est qu’avant, il ne pensait pas à grand-chose, y avait toujours son frère pour tout prendre en main. Mais y a plus le choix maintenant, faut grandir qu’il paraît, mais sans le lien fraternel ça lui semble infaisable, à Chan… Surtout quand même son propre regard dans le miroir ne décèle que le reflet de son défunt frère.

Ça lui brise le cœur, de la voir ainsi détruite. Ça le rend fou de rage aussi, quand elle ose libérer ses larmes alors qu’il la tient responsable honteusement. C’est la faute à Lina, ça fait moins mal de se dire ça… Liquide lacrymale qui se mêle aux gouttes de pluie pique les yeux du plus âgé. Et la petite vole en éclat, cassée par le poids du chagrin elle se recroqueville face à celui qui ne sait plus comment réagir. Chan la déteste autant qu’il souhaite la voir sourire… Lina ne mérite pas ça, personne d’ailleurs…

Gamin perdu se baisse alors à son tour, genoux ancrés au sol mouillé, tant pis si la maladie lui tombe dessus plus tard, ça de plus ne changera rien à son était déjà bien déplorable. Ses bras s’ouvrent pour donner refuge à la silhouette dévastée. Il l’accueille contre lui dans une étreinte maladroite. Réconforter celle qu’il veut par-dessus tout haïr le perturbe et c’est bien parce qu’il n’y arrive pas. Il ne fait que mentir (mais il continuera) parce que y a trop de souvenirs avec Lina, trop de souvenirs liés à celui qui n’est plus là. « Il me manque aussi… » souffle-t-il. Ça ne dure pourtant pas longtemps. Le jeune homme délaisse Lina pour se redresser. Puis il lui offre sa main pour l’aider à en faire de même. « Ressaisis-toi. Tu penses vraiment qu’il aimerait te voir ainsi ? »