2016.
Yeji était fin prête. Sweat noir enfilé, capuche sur la tête, lunettes sur le nez, perruque blonde à point. Bien sûr, ceux qui la connaissaient vraiment la reconnaîtraient en un coup d’œil mais les simples habitants de la ville se disaient juste, la majorité du temps, qu’elle ressemblait à la princesse. Les plus suspicieux cessaient de l’être en la voyant se déchaîner sur la piste – jamais la quatrième princesse de Corée n’aurait un tel comportement. Ils n’avaient pas tort, car il fallait discerner Min Seo de Yeji. Elles étaient deux femmes bien différentes : l’une était spontanée, honnête et la deuxième était une mascarade. Il y avait un peu de l’autre dans chacune, mais c’était difficile à percevoir à la première rencontre et en général, elle ne rencontrait jamais deux fois la même personne durant ses fuites. Trop dangereux. Message reçu de son frère jumeau, signal que la voix est libre, Yeji quitte sa chambre en marchant d’un air hâtif, sans regarder autour d’elle, tête baissée, jusqu’à la sortie du palais. Lorsqu’elle se rapprocha de la porte de sortie – enfin, ce foutu palais était immense – elle se mit à trottiner et elle ouvrit la porte avec force, signe de son immense excitation. Adrénaline de franchir l’interdit, de fuir le rôle de la poupée pour aller s’amuser. Consciente que les contours du palais étaient côtoyés par de nombreuses personnes qui pouvaient la reconnaître, elle se mit à courir en regardant d’un air inquiet autour d’elle. Normalement, à cette heure-ci, il n’y avait personne de ce côté-là.

Normalement.
Pourtant elle faillit rentrer dans quelqu’un. Elle s’arrêta brutalement, leva la tête vers lui automatiquement avant de se rendre compte de son erreur – il pouvait voir en dessous de la capuche maintenant, c’était foutu. Sa perruque blonde et ses lunettes ne berneraient pas quelqu’un qu’elle connaissait et encore moins un jeune homme qu’elle fréquentait depuis son plus jeune âge : pourquoi, parmi toutes les possibilités, fallait-il qu’elle croise l’homme qu’elle aimait ? Se mordant la lèvre, elle baissa de nouveau les yeux. C’était certain qu’il l’avait reconnue, ça ne servait à rien de fuir. Elle recula de quelques pas, la proximité avec lui un peu trop étouffante. « Salut » petite voix timide, celle d’un enfant pris la main dans le sac. En même temps, Do Hyun est fidèle à la famille royale et ce qu’elle fait est clairement dangereux pour cette dernière. Pour rien améliorer, il est garde du palais. « Alors, comment expliquer cette situation » commenta t-elle à voix haute, relevant la tête de très brèves secondes avant de la baisser de nouveau. Puis elle réalisa qu’ils étaient encore juste à côté du palais et que se faire prendre par une seule personne était largement suffisant. « Bon, déjà, pas ici » s’exclama t-elle en saisissant le bras de Do Hyun. Elle se mit à courir en le tirant avec elle – hors de question qu’il fuit et aille raconter ça à n’importe qui – et s’arrêta au bout d’une bonne distance. « Okay. Pardon pour ça » Elle lâche son bras d’un geste rapide. « Donc, euh. » Mais elle perd ses mots : elle n’a jamais eu à expliquer ça à qui que ce soit, n’a jamais songé avoir à le faire. Si elle s’y prenait bien, peut-être que Do Hyun allait comprendre, accepter. Après tout, ils se connaissaient depuis tant d’années.

2016.
La nuit avait toujours été quelque chose d'apaisant pour Dohyun. C'était un moment de la journée où il n'y avait plus personne, où tout était plus tranquille. Où il pouvait se détendre sans qu'on ne lui dise quoi que ce soit. Toutefois, il ne traînait pas beaucoup dehors. Il avait plus l'habitude d'être à l'intérieur de chez lui, regardant le ciel noir illuminé de ses étoiles. Mais aujourd'hui, il avait voulu prendre l'air alors le voilà dehors, en train de flâner dans les rues sans but apparent. En marchant, il avait fini par se perdre dans les rues de Hanseong et il se retrouverait dans un quartier qui ne lui était pas vraiment familier. Qu'importe. Il retrouvera toujours son chemin, de toute façon. Là, il voulait juste marcher sans but, se vider l'esprit, faire un avec le silence. Ce n'était pas habituel de sa part, lui qui était si bruyant, mais il y avait des moments où il s'éteignait, aussi. C'était des moments rares et des moments toujours incompréhensibles pour les autres. Lui ne savait pas trop pourquoi il agissait ainsi non plus mais parfois, il avait juste besoin de calme. De silence.

Et puis d'un coup on le bouscula. Il fit quelques pas en arrière sous le choc, subitement brutalisé dans sa bulle de confort. Les étoiles d'ordinaire si silencieuses faisaient maintenant du bruit à ses oreilles, sifflant comme le feraient des étoiles filantes. Peut-être que ce n'étaient pas les étoiles qui scintillaient dans ses oreilles, mais une seule étoile filante. Les yeux abasourdis, n'ayant aucune réaction apparente, il la fixait du regard comme s'il venait de découvrir un trésor. Ce n'était pas possible que ce soit elle devant lui. Elle ne serait jamais apprêtée comme ça. Elle n'avait pas ces cheveux blonds ni ces lunettes. Pourtant, sa voix indiquait que c'était elle. Bousculant tout ce qu'il savait d'elle jusqu'à présent, ça aurait pu l'effrayer, le faire reculer d'un pas. Mais il avait juste l'impression de s'être rapproché d'elle, d'avoir avancé d'un pas. Comme si c'était là, à cet instant, qu'il la trouvait la plus belle.

Il écouta d'une oreille ce qu'elle disait, l'esprit encore en train de la dévisager du regard. Et puis sans qu'il ne s'y attende, le voilà entraîné ailleurs, à courir avec elle, à se sentir encore plus attiré par elle. C'était étrange. C'était comme si son cerveau s'était déconnecté de la réalité et qu'il ne voyait plus qu'elle. A ses yeux, elle brillait encore plus fort que la lune du ciel. Peut-être parce qu'elle était devenue la lune de son monde.

Toujours un peu ailleurs, il se rendit compte qu'ils s'étaient arrêtés et qu'elle avait visiblement du mal à expliquer la situation. Dohyun n'en revenait toujours pas, la fixant toujours du regard comme s'il attendait quelque chose d'elle alors qu'il était juste en train de l'admirer. C'était vraiment trop étrange comme sensation, une sensation qui ne lui était pas du tout familière et qu'il ne comprendra que plus tard. Mais le silence s'éternisant, le garçon finit par être obligé de se réveiller de sa transe et de reprendre contact avec le vrai monde, de comprendre que Yeji ne brillait pas autant qu'il ne l'imaginait. Un peu comme s'il sortait d'un rêve, il fut un peu embarrassé de se rendre compte qu'il n'avait pas arrêté de la fixer. Heureusement pour lui, elle était plus préoccupée par son propre embarras pour s'en rendre compte. « Tu... t'échappes du palais, la nuit ? » demanda t-il, le cœur battant à ses oreilles. C'était une question bête mais il n'avait pas trouvé autre chose à dire. Et puis soudain la réalité le frappa et il sursauta, écarquillant des yeux. « Toute seule ? Il n'y a personne pour te protéger ? » s'écria t-il. S'ils avaient été dans une rue bondée il aurait sûrement attiré l'attention mais tant mieux pour eux, il n'y avait personne. Mais Dohyun ne s'en inquiétait pas de toute façon : ce qui l'inquiétait, c'était que Yeji était sortie seule. Et qu'elle était sortie sans protection.

2016.
Le regard appuyé du jeune homme sur l’adolescente l’embarrasse – elle n’a pas l’habitude qu’il la fixe comme ça, aussi sérieusement. D’habitude c’est plutôt elle qui est surprise en train de loucher sur lui, sur son beau visage et son beau sourire. En même temps, elle sait qu’il y a de quoi être surpris : qui aurait pu imaginer que la princesse fuyait le palais, vêtue d’un vulgaire sweet, d’une perruque blonde et de fausses lunettes ? Surtout qu’il n’était pas qu’un homme, il était un ancien noble, proche de sa famille – un futur garde du corps qui plus est. tu t’échappes du palais, la nuit ? » Elle se mord la lèvre une nouvelle fois : que répondre à cette question. La réponse était clairement positive mais ce n’était pas une belle façon de dire les choses. Il fallait qu’elle parvienne à mieux présenter les choses pour espérer que Dohyun soit dans son camp, comme son frère l’a été quand elle lui a soumis l’idée.

Elle comprend qu’il faut qu’elle se ressaisisse si elle veut avoir une chance de mener à bien sa mission. Elle se redresse pour se faire paraître plus grande, pour reprendre sa silhouette de princesse aussi. Elle lève son regard vers lui, enlève sa capuche comme pour lui donner un air plus sérieux. « Je ne dirais pas ça comme ça » corrige t-elle avec une voix plus posée. « Disons que je m’envole de la cage, je vole de mes propres ailes » Ça voulait dire exactement la même chose. « Je ne vois pas pourquoi quelqu’un devrait me protéger » Son ton se fait un peu plus dur. « Au cas où tu es oublié, je suis très douée au taekwondo, je peux me défendre toute seule. Et puis personne ne sait qui je suis, je ne vois pas pourquoi je serais attaquée » Douce innocence que celle d’une adolescente de seize ans, comme si seules les princesses risquées d’être agressées. « Bon, de toute façon, là n’est pas la question » Elle reprend les reines de la discussion en priant pour bien la diriger. « Oui, je m’échappe du palais la nuit, ce n’est pas la première fois que je le fais. Mais je me fais passer pour quelqu’un d’autre, je donne un autre prénom, à part mon frère jumeau, personne d’autre n’est au courant de mes escapades et j’ose espérer que cela va continuer comme ça – tu vois ce que je veux dire ? » Sous des airs d’ordre, elle supplie plus qu’autre chose avec ses yeux. « Si mon père ou ma mère l’apprend, je vais finir avec des cadenas à la porte de ma chambre ou une puce dans mes affaires pour me suivre h24. Personne ne peut vivre comme ça » Elle essaie de le prendre par les sentiments. « J’ai besoin de m’amuser, de découvrir la vie, c’est pas enfermée dans le palais que je vais y arriver » Elle ne sait pas si il voit où elle veut en venir – il n’a jamais connu que la princesse yeji, alors découvrir min seo doit être surprenant, elle veut bien l’admettre.

2016.
Pour Dohyun qui, toute sa vie, n'avait connu que la princesse Yeji du palais, c'était forcément choquant de la voir apprêtée d'un sweat, de lunettes et de cheveux... blonds. Les colorations n'étaient définitivement pas autorisées pour une princesse et la voir blonde n'était pas quelque chose qu'il penserait voir un jour. En fait, il ne pensait pas qu'un jour il la verrait habillée comme ça dans la nuit et qu'il comprendrait qu'elle faisait ça pour aller s'amuser. Pour voler de ses propres ailes, comme elle le disait. Même si ça revenait au même. C'était vrai que Yeji avait du caractère, il l'avait toujours su, mais de là à s'imaginer qu'elle était vraiment capable de voler de ses propres ailes... C'était comme s'il était en train de réaliser que l'oisillon qu'il avait surveillé toute sa vie était subitement devenu un oiseau et ça, ça lui faisait bizarre. Trop bizarre. Et puis en pensant aux risques de la nature, des chasseurs qui pourraient la tuer, ses ailes qui pourraient ne pas être assez puissantes pour tenir trop longtemps, il fut pris de panique. Elle sortait toute seule sans même être accompagnée de quelqu'un ? Le ton dur de la princesse ne le rassura pas parce que même si Yeji était très douée au taekwondo ça ne suffisait pas. Ça ne suffisait pas parce qu'elle n'avait jamais eu à combattre le danger d'elle-même et qu'elle n'avait jamais eu affaire à des gens qui voulaient vraiment la tuer. Et les membres de la famille royale étaient constamment en danger, les yeux de la population braqués sur eux, aussi bien des royalistes que des démocrates. Ça ne le confortait pas du tout qu'elle pense que savoir faire du taekwondo suffirait pour qu'elle se protège. « Personne ne sait qui tu es mais ce n'est pas comme si tu n'es pas reconnaissable ! Et quand bien même les autres n'arriveraient pas à savoir ta réelle identité, ça ne diminue pas les risques que tu te fasses cibler ! Tu sais que les agresseurs font souvent de leurs victimes des jeunes filles, hein ? Hé, savoir faire du taekwondo n'est pas suffisant- » Et heureusement que Yeji le coupa parce qu'il aurait été capable de continuer pendant des heures. Trop bavard, d'habitude sans prise de tête, avec la princesse c'était différent et ô qu'il serait capable de se faire un sang d'encre juste en sachant qu'elle n'était pas au palais. Maintenant qu'il savait qu'elle n'était régulièrement pas au palais, c'était pire.

Les sourcils froncés, il l'écouta se justifier et surtout lui demander de se taire. Évidemment qu'il était la première personne hormis son frère jumeau à savoir ce qu'il se passait et évidemment qu'il devait se taire. Dohyun n'y était pas obligé et s'il ne s'était pas juré de la protéger, son côté joueur aurait repris le dessus. Il lui aurait demandé ce qu'il gagnerait en échange de son silence mais il était trop attaché à la princesse pour le faire. Son silence était d'office ; ça le blessait même qu'elle pensait qu'il parlerait. Malgré tout, ça ne voulait pas dire qu'il comprenait. Il n'avait jamais su comment c'était de vivre au palais et d'y avoir grandi, mais tous les membres de la famille royale ne faisaient pas des escapades la nuit parce qu'ils avaient besoin de respirer, non ? C'était vrai que Yeji n'avait jamais été très sage mais il n'aurait jamais pensé qu'elle soit aussi rebelle que ça pour penser à sortir seule la nuit. Il soupira, passa la main dans ses cheveux parce qu'il y avait beaucoup trop d'informations à digérer d'un coup. « Je ne dirai rien, annonça t-il tout d'abord, mais je ne comprends pas. C'est tellement dangereux de faire ça, tu risques ta vie en sortant dehors pour t'amuser. Tu t'en fiches de ça ? Tu veux à ce point t'amuser ? Découvrir la vie ? » Si c'était le cas alors Dohyun allait devoir faire face à un paradoxe. Protéger le bonheur de la princesse sans pouvoir protéger sa vie, n'était-ce pas contradictoire ? Il devait faire un choix et ça le tiraillait. A quoi ça servait de garder la princesse en vie si elle n'était pas heureuse ? Mais si elle ne vivait plus alors Dohyun s'en voudrait à vie, parce que son seul but dans la vie c'était de la protéger. Comment faire, lorsqu'il ne pouvait pas tout protéger chez elle ?

2016.
C’est précisément pour cette raison que Yeji déteste être une princesse. Tout le monde la prend pour une poupée à protéger, constamment en danger et incapable de vivre par elle-même. Elle se demande s’ils ne sont pas tous paranos : le monde extérieur ne lui a jamais paru si dangereux. Il ne lui est jamais rien arrivé durant ses sorties. Quand Do Hyun prend la parole, elle a l’impression d’entendre son père ou n’importe quelle autre personne du palais qui s’indignerait d’apprendre que la princesse s’autorise des sorties sans accompagnateurs. Elle l’interrompt en disant que ce n’est pas la question mais elle sait que ce n’est que partie remise et que sa morale allait revenir. C’est précisément pour cette raison qu’elle n’en parle à personne, même à lui qu’elle connaît depuis des années : personne ne peut comprendre. Ce n’est pas juste un caprice, elle ne sort pas pour le plaisir de braver les interdits – même si ça y contribue.

Elle déteste voir cette incompréhension dans le regard de celui qui l’a accompagné toute sa vie. « Ecoute oppa, je ne peux pas vivre sans ça ! » s’exclame t-elle en le regardant droit dans les yeux. « Ce n’est pas que je mets ma vie en danger en sortant sans protection, c’est que je ne peux pas vivre si je ne le fais pas. C’est ça que tu ne peux pas comprendre ! Je ne suis pas une poupée de décoration qu’on peut ranger dans le palais quand le jeu est terminé, d’accord ? » Ce qu’elle ne parvient pas à comprendre, elle, c’est comment tous les autres peuvent rester sagement enfermé dans un palais. « Je sais pas ce qu’il en est des autres princes et princesses et franchement, j’en ai rien à faire. Moi, j’ai besoin de ces moments de détente pour pouvoir redevenir la fille sage qu’on veut que je sois, j’ai besoin de me défouler en secret pour mieux jouer mon rôle après. J’ai un besoin de liberté qui m’étouffe depuis toujours, je ne suis pas faite pour une vie enfermée. Si je ne me permets pas ça, c’est là que je mets ma vie en danger ! » Ce n’est pas du bluff, Yeji sait que c’est dans ses moments-là qu’elle se sent en vie. C’est dans l’attente de ses instants de défoulement qu’elle passe ses jours. « Je comprends bien que tu es inquiet pour moi. » reprend-elle, un peu plus calmement cette fois-ci. « Mais tu ne me feras pas changer d’avis. Je préfère mourir libre que vivre en captivité. » Son regard transmet son honnêteté. « Si ça te peut te rassurer, je te promets de te contacter s’il m’arrive quelque chose ou si je me sens en danger. » Ce ne sont pas des mots lancés en l’air pour couper court à la discussion. Elle sait qu’elle peut compter sur Dohyun, il lui a prouvé ce soir encore en affirmant qu’il ne dirait rien.

2016.
Dohyun qui n'était pas un prince ne comprenait pas. Il ne comprenait pas pourquoi Yeji avait tant soif de découvrir le monde alors qu'elle pouvait le voir du haut de la pyramide. C'était comme si elle faisait partie de la rare élite qui pouvait se permettre d'être de ceux qui secouaient la boule à neige qu'ils avaient entre les mains, de voir comment la neige se répartirait parmi la population qui ne pouvait qu'être debout à l'intérieur de cette bulle, les voyant les maîtriser comme des pions. La famille royale observait le monde tandis que le monde l'observait. C'était elle qui avait le pouvoir de tout regarder, elle qui était dans un avion tandis que tous les autres étaient à terre. Mais Yeji voulait abandonner ce privilège pour découvrir la vie en bas alors qu'elle y avait accès depuis le haut. C'était quelque chose qu'il avait du mal à saisir, surtout que la chute pouvait être douloureuse. Il suffisait d'un faux mouvement pour mal atterrir et pour ne plus jamais pouvoir remonter dans les airs. Dohyun avait beau vouloir être les ailes de la demoiselle, il ne pouvait pas les remplacer et si elle les perdait, alors il s'en voudrait à vie.

Mais il s'en voudrait aussi à vie si les ailes de la princesse se fanaient parce qu'elles n'avaient pas été utilisées. A quoi ça servait d'avoir des ailes si on ne les utilisait pas ? Dohyun se sentait inquiet, peu confiant. Il voulait autant préserver ses ailes que sa vie et c'était un problème, parce qu'allier les deux était impossible. C'était censé être impossible mais... Plus il l'écoutait et plus il avait l'impression de se faire enivrer par de l'alcool : il était en train de boire ses paroles comme un élixir. La tête qui tournait, l'esprit confus, la vision floue, il avait pratiquement tous les symptômes de l'homme saoul. Repensant à sa transe juste avant en courant avec la princesse, il remarqua que c'était assez similaire. Qu'est-ce qui lui arrivait ? Question stupide. Dohyun savait déjà la réponse. Il n'y avait pas besoin de le dire parce que c'était une évidence.

Le regard rivé sur elle, le choc de son apparence se diluant petit à petit dans les cellules de son cerveau, les paroles bues dans son sang, il digérait lentement les informations données. Il ne comprendrait certes jamais ce qui se passait dans la tête de Yeji parce qu'il n'était pas un prince, mais il y adhérait. Il n'avait pas besoin de comprendre parce que tout ce dont il avait besoin lui, c'était son bonheur ; si elle était heureuse, alors il n'avait aucun souci à se faire. Sa sécurité physique dépendait de lui et c'était pour ça qu'il travaillait si dur. Parce qu'il s'était juré de la protéger.

Il se mordit la lèvre, hocha doucement de la tête, indiquant d'ores et déjà qu'il n'allait pas s'opposer à sa décision (de toute façon s'il l'avait fait, ce n'était pas lui qui l'aurait fait changer d'avis). « Tu dois vraiment me contacter alors, » commença t-il, le regard sérieux. Un regard rare chez lui mais qui par sa rareté faisait dresser tous ceux qui le rencontraient, simplement parce qu'on n'était pas habitué, simplement parce que c'était dans ces moments-là qu'il se montrait intimidant alors qu'on avait l'habitude d'être celui qui le prenait de haut. « Je veux savoir quand tu sors, où tu vas, quand tu rentres. » Et avant qu'elle puisse en placer une, il ajouta : « Et si je te surprends une fois dehors et que tu ne me l'as pas dit, je serai capable de te suivre à chaque fois que tu sors. » Soutenant son regard alors qu'en temps normal, il ne faisait pas le poids face au regard ardent de la princesse, il ne craqua même pas un sourire sur ses lèvres alors qu'il l'aurait habituellement fait pour détendre l'atmosphère. Là, Dohyun ne voulait absolument pas détendre l'atmosphère parce qu'il ne voulait pas qu'elle se détende. Il voulait qu'elle se sente tendue, qu'elle réalise que ce qu'elle faisait était plus dangereux que ce qu'elle pensait et qu'elle comprenne que peu importe ce qu'elle fera, il sera toujours là pour elle. Il n'y avait pas besoin pour lui de lui exprimer son opinion par rapport à sa vie de princesse ; parce qu'il ne comprenait et ne comprendrait jamais, mais qu'il n'en ressentait plus le besoin. Il avait juste eu besoin d'entendre que si elle ne sortait pas, elle mettait sa vie en danger et ça avait suffi. Car jamais Dohyun ne l'empêchera de faire quelque chose qui la rendait vivante puisque ce qu'il aimait chez elle, c'était ça, justement. Le fait qu'elle soit si vivante. Comme un feu brûlant, comme les flammes d'un dragon, comme le soleil du ciel. Un feu puissant et magnifique. Yeji.

2016.
Ce qui peut surprendre les autres n’étonne pas Yeji. Elle le connaît depuis tellement d’années, elle est autant habituée à faire face au Do Hyun joueur qu’à celui sérieux. Les deux ont un charme différent mais complémentaire et elle ne sait plus pour lequel elle est tombée amoureuse, peut-être pour les deux justement, pour cette capacité d’être parfaitement complet dans les deux versions, pour ce regard taquin un instant et perçant la seconde d’après. Et aussi un peu pour ces rares fois où il se mord la lèvre, parce que non seulement ça le rend terriblement attirant mais aussi parce qu’elle sait qu’il n’y a qu’elle qui a assez de pouvoir sur lui pour le faire céder comme ça.

Elle le dévisage quelques secondes avant d’avoir un léger sourire sur le visage. « Tu es encore plus inquiet que mon frère » Pourtant son frère aussi s’est fait du souci pour elle quand elle a décidé de faire ses premières sorties. « J’ai peur que tu me suives même quand je te préviens où je vais » Elle le taquine parce qu’elle le trouve particulièrement dramatique. Elle ne fait que faire ce que font toutes les filles normales de son âge, il n’y a pas besoin de surréagir de cette façon. « Mais ne t’en fais pas, si ça peut me permettre de sortir sans m’attirer les foudres d’un Dohyun en colère, ça me paraît être un bon compromis. » Elle n’a que très rarement mis le jeune homme en colère et c’est une scène qu’elle ne souhaite à personne. Heureusement qu’il la pardonne toujours rapidement.

Après avoir fait sa promesse, elle sort son téléphone pour regarder l’heure. Trente minutes de retard déjà, elle jette un coup d’oeil vers son ami d’enfance en se demandant si ça vaut vraiment la peine de suivre le programme qu’elle avait prévu. C’est une occasion assez rare de se retrouver de nuit, avec son déguisement, en sa compagnie – pourquoi ne pas en profiter pour faire ce qu’elle ne peut pas faire quand elle est vêtue des robes trop longues ? « T’as quelque chose de prévu ce soir ? » … si c’est le cas, annule de suite. « De toute façon puisqu’on en est là, autant passer la soirée ensemble non ? Peut-être que ça va te permettre de te rendre compte que je ne me mets pas en danger » Ou peut-être que ça aura l’effet inverse. « Ah ! Mais si tu veux passer du temps avec moi sous cette apparence, tu dois me promettre de m’appeler minseo. »  Elle se rappelle soudainement qu’il ne connaît pas le nom de sa deuxième identité, créée depuis si peu de temps et pourtant déjà ancrée en elle. « C’est le prénom que j’utilise pour pas qu’on me reconnaisse. Enfin, j’imagine que tu feras pas l’erreur de m’appeler yeji vu combien tu es parano, mais c’est toujours bien de le savoir » Son sourire taquin ne la quitte jamais, c’est une démonstration de son amour pour lui – elle ne taquine pas ceux qu’elle n’aime pas, elle les fustige. Si elle l’embête autant que son côté sur-protecteur, c’est parce qu’elle l’apprécie.

2016.
Dohyun roula des yeux, cassant enfin son sérieux inhabituel. Il avait eu la confirmation sur le visage de la princesse qu'elle l'avait bien entendu et compris. De toute façon, si elle n'avait toujours pas compris ce ne serait pas Yeji. Elle n'était pas bête, autrement elle n'aurait jamais pu tenir si longtemps à sortir en cachette. « Ton frère a bien raison de s'inquiéter, » répondit-il comme s'il était son père alors qu'il était juste son oppa. Un oppa qui risquait de la suivre même lorsqu'elle lui avait dit où elle allait, juste pour être sûr qu'elle soit en sécurité. Il craqua un sourire. Un oppa qui pourra la suivre si ça évitait qu'il soit en colère. Ce sourire se fissura en rire. Voir Dohyun en colère était une vue très rare et tant mieux, car rares étaient ceux qui étaient encore vivants après l'avoir vu ainsi. Le garçon avait bon tempérament, il ne s'énervait pas et prenait toujours les choses à la légère. Donc quand on l'avait énervé, ça voulait dire qu'on avait réussi à passer outre de sa tranquillité, à réveiller le lion qui sommeillait en lui. Et un lion, ce n'était pas très gentil quand c'était en colère. « Je ne te suivrai pas. Je te fais confiance. » Il y avait une partie de lui qui voulait la suivre mais il la retenait, parce qu'il savait que s'il la suivait, ça voulait dire qu'il ne croyait pas en elle et ce n'était absolument pas le cas. Alors il se retiendra. De toute façon, si elle était suivie, était-ce réellement une liberté ? Il ne pouvait pas être derrière elle à chaque fois qu'elle était en train de voler. Un oiseau volait seul dans le ciel, pas avec un autre qui le suivait à chaque fois. La liberté ne se représentait pas avec deux oiseaux, mais bien un seul.

Toutefois, Yeji semblait bien vouloir intégrer un deuxième oiseau au tableau pour cette nuit-là. « Non, j'ai rien de prévu. » Et si j'avais eu quelque chose de prévu, je t'aurais menti. Il battit des yeux à l'entente de son deuxième prénom. Minseo ? Ce nom s'imprima automatiquement dans sa tête, associant la Yeji blonde à Minseo et la Yeji aux cheveux noirs à la princesse. Il ne fera pas l'erreur de l'appeler par le mauvais prénom. Yeji le savait déjà. Il ne put réprimer un rire offusqué, affligé de voir à quel point la princesse pouvait se permettre de le taquiner alors qu'il était son aîné ; en même temps, elle était supérieure à lui dans la hiérarchie des classes. « D'accord, Minseo, » répondit-il avec un sourire joueur, comme un Dohyun plus normal. C'était comme s'il avait connu Minseo toute sa vie et qu'il n'avait pas ressenti de la panique juste quelques minutes avant. Lunatique comme il était, changer d'humeur était trop facile. « Alors, comment tu t'amuses, princesse ? » Il pencha légèrement sa tête, le même sourire toujours sur les lèvres. Je me demande si c'est vraiment sans danger comme tu le dis, traduisit-il dans son regard mesquin.

2016.
Incapable de retenir un petit rire, elle lève son regard rieur vers Dohyun. « N’importe quoi » Yeji, elle est persuadée que ce n’est pas dangereux de sortir. Elle trouve le palais plus hostile que l’extérieur, les gens là-bas y sont hypocrites, faux, ils sourient pour mieux trahir, ils flattent pour mieux manigancer. Dehors, les gens sont plus innocents, ils sont là pour s’amuser, exactement comme elle, leurs sourires sont aussi vrais que leurs colères. Bien sûr, tout le monde n’est pas inoffensif, mais elle a appris à se défendre et elle excelle dans les attaques verbales, alors elle n’a pas peur de la répartie des autres. Malgré sa moquerie, apprendre que Dohyun lui faisait confiance au point de ne pas la suivre la toucha. Son visage le démontra quelques secondes, avant qu’elle ne se reprenne et passe au sujet suivant, pour ne pas être trahie plus longtemps. Ses sentiments pour lui sont présents depuis longtemps mais elle ne les a jamais dits. Elle ne peut pas se permettre d’être trahie trop longtemps, Dohyun est intelligent. Il risque de vite comprendre et elle ne veut pas être rejetée.

La question posée, elle le dévisage jusqu’à ce qu’elle réponde, d’un regard qui veut dire : ose me dire que tu as quelque chose à faire. Trop habituée à avoir l’exclusivité de Dohyun, trop habituée à ce qu’il lui passe tout, elle aurait très mal vécue qu’il lui avoue avoir quelque chose d’autre à faire – quelque chose de mieux que de rester avec elle. « Parfait ! » Sans jamais perdre son regard rieur, elle lui annonce sa deuxième identité. Puis quand il lui demande comme elle s’amuse, elle l’observe plusieurs secondes sans rien répondre. Est-ce vraiment une bonne idée de lui dire qu’elle va danser en boîte ? Il risque de se faire un sang d’encre si elle le lui dit, même si rien que l’imaginer jaloux de ceux qui la voient danser librement sur la piste l’amuse beaucoup. Quelques secondes de silence supplémentaires jusqu’à ce qu’elle lui dise : « Je vais dans des clubs danser, quand j’arrive à y rentrer – parce que je ne suis pas encore majeur – autrement, je vais danser là où je peux – mais ça, c’est amusant quand je suis seule, alors on va pas faire ça ce soir. » Elle essaie de changer de sujet au plus vite. « Tu dois savoir mieux que moi ce que font les gens normaux, non ? » Après tout, il n’a pas grandi enfermé dans le palais, même s’il s’y est beaucoup rendu. « Que font un garçon et une fille quand ils sont seuls pour s’amuser une soirée ? » Les yeux dans ceux de son ami d’enfance, elle laisse délibérément l’ambiguïté dans sa phrase.

2016.
Presque agacé par la frivolité de Yeji, Dohyun aurait pu répliquer par une longue tirade pour lui faire comprendre à quel point le monde extérieur était plus dangereux que le palais, mais il s'abstint. Elle ne sera jamais convaincue par ses mots car une fois qu'elle avait quelque chose en tête, elle ne le lâchait pas. C'était la même chose pour Dohyun mais cette fois, il fut le premier à lâcher l'affaire. Un peu comme toutes les autres fois, au final. Le cœur tendre du garçon avait toujours faibli face à la princesse ; aujourd'hui plus que jamais. Il ignorait pourquoi tout en connaissant la raison, mais il ne l'admettrait que plus tard. Quoi qu'il en soit, il accepta que Yeji brave le danger, il accepta de lui faire aveuglément confiance et de ne pas la suivre, peu importe s'il allait penser à elle tous les soirs avant de s'endormir, se demandant si elle allait bien. Oh, mais n'était-ce pas déjà le cas ? Clairement que si, mais la plus jeune l'ignorait. Les yeux observateurs du garde comprirent le changement d'expression chez la demoiselle et il se contenta d'y répondre par un sourire complice. Il suivit le courant, suivit son changement de sujet. Du temps libre ? Bien sûr qu'il en avait. Surtout pour elle. Amusé, il lui demanda comment est-ce qu'elle s'amusait, prêt à en découdre avec elle si elle lui annonçait une activité trop dangereuse. Les sourcils se froncèrent dès lorsqu'il entendit le mot « club » et tout ce qui suivit après ne lui plut pas. Du tout. Ouvrant la bouche pour en placer une (parce que enfin Yeji, les clubs étaient un endroit encore plus dangereux que les rues dehors, tu risquais encore plus gros-), mais il n'eut pas le temps, la princesse changeant encore de sujet. Il fut obligé de se résigner, son expression marquant son indignation malgré tout. Indignation qui se transforma en surprise lorsqu'elle lui retourna une question... particulière.

Un garçon et une fille, que faisaient-ils lorsqu'ils devaient s'amuser pour une soirée ? Dohyun cligna des yeux. Lui qui n'était jamais sorti avec des amis après les cours, il n'en avait pas idée. Il était encore moins sorti avec une fille en soirée. Les soirs, il les avait toujours passés à s'entraîner ou à ne rien faire chez lui. Il n'avait jamais vraiment été normal, très sociable mais devenant un bernard l'ermite dès que la lune tombait. Et puis de toute manière, pourquoi est-ce que la jeune fille lui posait la question de cette façon-là ? Ne devrait-elle pas dire « deux amis » au lieu de « un garçon et une fille » ? Ils étaient amis avant d'être un garçon et une fille. Pas vrai ? Le cœur de Dohyun s'emballa sans raison apparente alors que, pour la première fois de sa vie, il imaginait Yeji à ses côtés pour le restant de sa vie. Balayant rapidement l'idée parce que c'était ridicule, il se racla la gorge, loin d'imaginer qu'il allait passer les quatre prochaines années à imaginer Yeji avec un autre homme que lui. « Euh... » commença t-il, gagnant du temps parce que ça faisait trop longtemps qu'un silence s'était installé entre eux. Pensant à la nuit et aux circonstances, ne pensant définitivement plus à l'aspect romantique de la question, il pensa à lui-même. Où est-ce qu'il aimerait amener la princesse ? Une idée fit subitement son apparition dans son esprit et il se mit à sourire doucement à cette pensée. Il savait exactement où il l'emmènerait. « Suis-moi. » D'un air confiant, comme s'il n'était pas complètement agité la minute d'avant, il fut le premier à se mettre à marcher, direction l'un de ses lieux favoris.

Mais un trajet ne pouvant jamais se dérouler en silence (pas avec Dohyun en tout cas, encore moins quand il était avec Yeji), il se tourna vers elle, trouvant enfin un moment pour en placer une. « Hé, à propos des clubs, fais attention hein. » Il prenait son rôle de oppa un peu trop à cœur. « Les gens sont encore plus dangereux quand ils sont alcoolisés. Ils ne sont plus conscients de ce qu'ils font. Toi aussi, fais attention à ne jamais être saoulée ! J'ai déjà eu affaire à des gens qui avaient trop bu et ce n'était pas beau à voir. Ils font n'importe quoi alors fais particulièrement attention à ces gens-là ! Si t'as trop d'alcool dans le sang, toi aussi tu risques de te faire emporter par le courant et il ne faut jamais que tu fasses ça. D'accord ? » Il se demanda si Yeji tenait mieux l'alcool que lui. Ce n'était pas difficile de le battre, mais elle restait quand même une enfant... Si elle le tenait mieux que lui, il se sentirait offusqué. Non pas que ce ne soit pas l'émotion dominante chez lui quand il était avec elle. Il se sentait toujours indigné avec elle, parce qu'elle avait ce beau sourire, ces yeux rieurs, ces taquineries adorables... Tiens ? Étaient-ce vraiment des adjectifs qu'on attribuait à une amie ?

2016.
Yeji ignore avec finesse l’expression changeante de Dohyun. Elle savait que ça ne lui plairait pas, qu’elle aille danser en club, mais elle ne compte pas changer ses habitudes pour autant. Alors, il vaut mieux pour elle changer de sujet avant que ça ne dérape – et elle le fait à la perfection. Phrase ambiguë pour lui demander de proposer un endroit de sortie, elle est contente de voir qu’il met un peu de temps à répondre. Elle espère y voir là un signe qu’il a compris le sous-entendu, peut-être même qu’il l’a aimé mais elle ne se fait pas non plus trop de faux espoirs. Ils se connaissent depuis tant d’années, et elle l’aime depuis tant d’années, elle n’a pas vraiment l’espoir qu’un jour ce sentiment soit partagé. Il n’y a que dans ses rêves les plus fous qu’elle s’autorise à y songer.

Finalement, il semble penser à quelque chose. « D’accord ! » Elle sourit en se mettant à le suivre, pressée de savoir quel type d’endroit elle a pu lui inspirer. Le silence ne s’installe que quelques secondes jusqu’à ce que le sujet qu’elle voulait éviter ressurgisse. Elle lève les yeux en ciel aux avertissements de Dohyun, à la manière d’une adolescente agacée par ses parents. « Oui, oui, je sais, les gens sont dangereux, ils peuvent mettre des choses dans les boissons, ils peuvent te bourrer volontairement, blah blah blah. » Elle soupire. « Je sais tout ça, je ne suis plus une enfant. » Même si elle n’a que seize ans. « Ne t’en fais pas, je ne bois pas d’alcool. J’en ai bu à quelques occasions, pour essayer – mais ne t’en fais pas, j’étais accompagnée d’un ami de confiance. » Elle parle de ce garçon, qu’elle a rencontré lors de sa première sortie, et avec qui elle s’est de suite liée d’amitié. Bien sûr, il n’a aucune idée de qui elle est vraiment. « Fais-moi confiance, tu as dit que tu me faisais confiance ! » Elle se met à râler un petit peu. « Tu sais, si je ne faisais que ce qui est dans les règles, tu serais obligée de m’appeler votre altesse, de me vouvoyer, et je ne devrai pas t’accorder toute ma confiance, parce que les traîtres sont partout. » C’est comme ça qu’elle a été éduqué, et elle ne fait d’ailleurs pas confiance à tout le monde autant qu’elle fait confiance en Dohyun. C’est une exception depuis toujours. « Je sais que le monde est dangereux, on ne me l’a que trop bien enseigné. Mais rester enfermée dans le palais, c’est aussi un danger. C’est un danger psychologique. Pour moi. » Elle sait qu’elle l’a déjà dit, mais elle se sent obligée d’accentuer encore ce fait : elle ne dit pas ça que pour le convaincre. C’est la pure vérité. Elle ne se sent vivre que quand elle est libre. Sinon, elle est une poupée vide, morte, fatiguée.

2016.
C'était difficile pour Dohyun de lâcher un sujet. Têtu comme il l'était, il n'abandonnait que rarement les affaires dans lesquelles il s’immisçait tant qu'il n'avait pas obtenu le résultat qui lui convenait. Avoir des réponses à ses questions, avoir convaincu l'autre de faire quelque chose... Le garçon avait toujours été le roi pour faire céder les autres, car ils étaient trop agacés par le comportement du garde, trop curieux, trop frivole. Alors bien sûr qu'il avait aussi du mal à abandonner le sujet avec Yeji. Surtout qu'il n'arrivait pas à assez bien comprendre ses pensées, mais qu'il n'avait pas d'autres choix que d'accepter, car c'était ce qui rendait Yeji vivante. Et jamais il ne la priverait de sa liberté, ô jamais. Mais, quand même, son côté borné ne pouvait pas s'effacer le temps d'une soirée et il se sentait obligé de lui rappeler que les clubs étaient dangereux, qu'elle devrait faire attention, quand bien même il lui avait déjà dit (et il ne se privera pas de lui répéter dans le futur, que ce soit à voix hautes ou par texto). Son inquiétude prévalait sur le reste, il s'imaginait déjà des scénarios terribles où la princesse était en danger. Alors qu'il voulait la protéger, s'il n'arrivait même pas à faire ça... Il s'en voudra à vie.

La réponse de Yeji ne le satisfaisait pas vraiment, parce qu'il avait l'impression qu'elle ne savait pas assez, ou qu'elle n'avait pas assez compris les enjeux de ses sorties. Et puis, un ami de confiance ? Comme un grand frère protecteur, il se sentait presque obligé de lui poser toutes les questions du monde à son sujet (c'est qui ? il s'appelle comment ? il a quel âge ? comment tu l'as connu ? pourquoi tu lui fais confiance ? t'es sûre que tu peux lui faire confiance?) mais il s'abstint, parce qu'il savait qu'il devrait lui faire confiance et que s'il lui demandait autant d'informations, ça montrerait qu'il ne lui faisait pas suffisamment confiance. Il fallait qu'il lui fasse confiance. Hochant la tête comme pour se convaincre lui-même, roulant lui aussi des yeux comme un gosse grondé par ses parents alors qu'il avait vingt ans, il finit par éclater de rire. Il ne devrait sûrement pas, mais en s'imaginant appeler Yeji « votre altesse » et la vouvoyer, c'était trop étrange. La demoiselle avait raison, parfois, c'était bon de ne pas respecter les règles. Dohyun était quelqu'un qui les respectait naturellement mais lui aussi, de temps en temps, il ne les respectait pas. Pour la santé mentale, comme on le disait. Il lui adressa un sourire, décidant de finalement lâcher l'affaire pour ce soir. Il lui avait dit tout ce qu'elle devait savoir, elle semblait comprendre. Il ne verra qu'avec ses actions si elle avait réellement compris et imprimé ça dans sa tête. Pour l'instant, il n'avait pas d'autres choix que de faire avec. « D'accord, d'accord. Tant que tu le sais, c'est bon pour moi. Je te fais confiance. » Il disait ça, mais dès qu'elle sortira, il ne se retiendra pas pour lui envoyer un pavé de rappels pour sa sécurité. Il ne se retiendra pas non plus pour s'inquiéter pour elle parce qu'il ne pouvait pas la surveiller. Lui faire confiance, lui faire confiance, qu'il se répéterait dans sa tête le soir dans son lit. Ou peut-être ailleurs. « C'est par là, » lui indiqua t-il, prenant la dernière ligne droite pour aller à son lieu favori.

Après quelques escaliers, les voilà au sommet d'une colline qui donnait sur la ville. Les lumières artificielles illuminaient les gratte-ciels, les voitures qui bougeaient rendaient la ville entière vivante. Mais ici, il n'y avait pas de lumière. Il y avait juste des arbres, une barrière, un banc, la verdure et la lune. Rien d'autre. S'il devait y avoir des sons, c'était les caresses du vent. Le calme de ce lieu avait toujours plu au garçon. C'était un endroit où personne ne viendrait jamais le déranger. Il se tourna vers Yeji, sourire aux lèvres, un peu fier de lui présenter cet endroit. « C'est là où je viens, si j'ai besoin d'être seul. J'aime bien venir ici, m'asseoir là, et regarder la ville. Me couper du monde, observer les étoiles. C'est agréable, tu ne trouves pas ? » Étrange pour un garçon si vif et sociable comme Dohyun d'aimer ce lieu. On l'imaginerait plutôt décrire les rues commerçantes les plus bondées comme ses lieux favoris. Mais non, c'était ici qu'il aimait le plus venir. Car il avait parfois besoin de silence et il n'y avait qu'ici qu'il pouvait obtenir sa solitude plaisante. Sauf que maintenant, il n'était plus seul. Il était avec Yeji. « C'est la première fois que j'amène quelqu'un ici, » commenta t-il, un petit sourire amusé à la bouche. « C'est un peu bizarre de ne plus être tout seul. Les arbres doivent se demander ce qu'il se passe dans ma tête. » Il rit sur le ton de la plaisanterie, mais au fond, si les arbres pouvaient penser, ils auraient raison de se poser cette question. Car ce soir, il était trop étrange. Mais c'était l'amour, qui était étrange. Pas lui.

2016.
Il est tellement sur-protecteur qu’elle se demande quel métier il aurait fait s’il n’avait pas pu être garde-du-corps. C’est totalement fait pour lui, lui qui est toujours inquiet pour elle, quoi qu’elle fasse, où qu’elle aille. « Je n’en suis pas si sûre. J’imagine déjà mon téléphone bourré de textos de ta part dès que tu sauras que je suis dehors. » Mais elle ne dit pas ça d’un air agacé. Elle est plutôt amusée de s’imaginer ça. C’est toujours appréciable de savoir que l’homme qu’on aime se fait du souci pour nous. Du moment qu’il ne lui interdit pas, qu’il ne la suit pas sans lui dire, elle ne voit pas d’inconvénient à recevoir dix messages toutes les demi-heures.
Elle suit silencieusement la direction que lui indique le garde du corps. Elle se demande où est-ce qu’il peut bien l’amener. C’est visiblement un endroit en altitude vu le nombre de marches qu’ils doivent escalader pour y aller.
Au bout de plusieurs minutes, l’escalier se termine enfin et elle écarquille les yeux face à la vision qui lui est offerte.
« Waouh » s’exclame t-elle, à demi-voix.
La ville brille de mille feux et se reflète dans les yeux illuminés par la joie de Yeji. La brise nocturne souffle et fait bouger les mèches blondes de sa perruque tandis qu’elle ne décroche pas son regard des lumières de la ville.
Elle a tendance à apprécier les endroits bruyants, mouvementés. Quand elle fuit le palais, c’est pour s’amuser, pour se défouler, alors elle ne s’attarde pas dans les endrois où il n’y a rien.
Or la vue d’ici est si magnifique que ça l’emplit d’un immense sentiment de joie. Comme si elle était au-dessus de tout, ici.
D’une oreille attentive mais sans tourner la tête vers lui, elle écoute Dohyun lui parler.
« Oui, c’est très agréable. » dit-elle alors qu’un immense sourire vient illuminer son visage.
Bien que l’idée d’être la première personne que Dohyun amène ici lui plaise énormément, elle essaie de ne pas le montrer. Elle ne tourne la tête que quand il parle de ce que les arbres pensent et elle se met à rire.
« Je ne suis pas sûre que les arbres soient très intéressés par ta vie » répond-elle entre deux éclats de rire. « Et tu viens souvent ici ? » demande t-elle finalement, curieuse. Elle sait que parfois, il veut rester seul, dans le calme, mais le voir de ses propres yeux rend ça plus réel.

2016.
Il déglutit, comme s'il était pris la main dans le sac (alors que la personne prise la main dans le sac, c'était clairement Yeji). « Je... Je me contenterais d'un texto. « Fais attention à toi », tu vois. Je me contenterais de ça. » Il hocha de la tête pour la convaincre, pour se convaincre. « J'essaierais, » ajouta t-il finalement, parce qu'il ne mentait pas à la princesse et qu'il savait que se contenter d'un texto, ce serait peut-être trop lui demander. Ou sinon, il en enverra un et enverra tous les autres dans sa tête, ou les gardera en brouillon. Il finira probablement par envoyer tous les textos qu'il aurait aimé lui envoyer à lui-même, se faisant une conversation très riche tout seul sans rien envoyer à Yeji. C'était probablement ce qu'il finira par faire. Le lui du futur le dira que oui, il avait fait ça et que c'était l'une des raisons que jamais la princesse ne devra regarder son téléphone. Jamais.

Il préféra la laisser regarder la vue de la ville vu de son lieu favori. Le son de surprise qui sortit de la gorge de la jeune fille suffit à le satisfaire et à chauffer son cœur, alors qu'il se mit à sourire doucement en regardant l'expression de Yeji. Avec un regard un peu plus différemment de d'habitude, un regard plus doux. Plus aimant. Mais il ne le remarqua pas. Il se contenta de la regarder alors qu'elle fixait les lumières de la ville. Ses yeux reflétaient ces lumières et il avait l'impression de voir des feux d'artifice dans ses iris. Ça lui correspondait bien, d'incarner des feux d'artifice. Elle était tout aussi brillante et belle que ceux-là. Et puis, dans ce lieu calme et obscur, elle brillait encore plus que parmi les lumières de la ville.

Il continua de sourire en la regardant alors qu'un sourire se forma sur les lèvres de la demoiselle. Se rendant compte qu'il la fixait depuis peut-être un peu trop longtemps, il regarda ailleurs, le regard sur la ville illuminée. Il réalisa qu'elle ne brillait pas autant que Yeji. Il était peut-être biaisé. Carrément biaisé. Mais cette pensée ne traversa pas son esprit et il se contenta de faire une blague sur les arbres qui le voyaient souvent rester ici, seul, à l'abri des regards. « Dommage, ils ratent quelque chose, » répondit-il à sa remarque, comme si sa vie était assez intéressante pour que les arbres s'y intéressent. Et il prit un air un peu plus sérieux en se souvenant des moments où il venait ici. C'était vrai qu'il avait plus tendance à rester chez lui quand il voulait avoir du calme, mais chez lui, ça n'avait jamais la même atmosphère qu'ici. Car ici, c'était dehors, c'était calme, c'était vide, c'était sombre. Étrangement, il s'y sentait bien. « Parfois, oui. Quand... j'ai envie d'être seul. » Il savait qu'il n'avait pas besoin d'en dire plus, car Yeji savait déjà cet aspect-là de sa personnalité. Maintenant qu'il y pensait, peut-être ne l'avait-elle jamais vue. « J'ai découvert cet endroit par hasard, en marchant sans but particulier. Et je suis tombé sous son charme, directement. » Il avait aussi découvert Minseo par hasard, en marchant sans but particulier. Et il était aussi tombé sous son charme, directement. Mais il ne fit pas le lien. Pas encore. A la place, il eut un sourire tendre sur les lèvres. « C'est juste un endroit parfait pour remettre de l'ordre dans ses idées. » Et il y reviendra régulièrement, quand il comprendra qu'il était tombé amoureux d'une princesse.

2016.
Ses yeux brillants rivés vers celui qu’elle aime, un doux sourire sur le visage et ses cheveux qui flottent dans l’air, elle se sent mille fois mieux ici que dans ce palais où elle est enfermée. Croiser Do Hyun en dehors de ce cadre aussi lui donne l’impression de mieux le connaître, mieux le comprendre, d’approfondir ce lien qui les a toujours uni.
Ce qu’il faisait en dehors de ses heures au palais lui a toujours paru flou, lointain. Elle ne s’est sans doute jamais posé la question. Elle sait que les gens sont plus libres qu’elle, qu’ils peuvent avoir une vie sociale sans avoir à fuir un palais, mais elle ne sait pas concrètement ce que ça veut dire.
Alors voir de ses propres yeux un endroit qu’il fréquente régulièrement lui permet de mieux saisir le type de vie qu’il a dû vivre. Le type de vie que les gens vivent. Elle tourne de nouveau la tête vers la vue splendide. « La ville semble tellement vivante vue d’ici » Ça change du calme des jardins du palais - eux, ils sont artificiels, quand on y est, il n’y a pas un seul bruit, pas une seule lumière, et on n’y est jamais vraiment seul non plus, les gardes sont là, surveillent, épient. Ici, même si le seul bruit qui parvient à leurs oreilles est celui du vent dans les feuilles des arbres et quelques voitures lointaines, ils peuvent deviner l’ambiance de la ville qu’ils voient, les lumières qui brillent, l‘agitation de la circulation piétonne comme automobile. Alors qu’au palais, tout semble mort, stagnant, comme si le temps ne passait pas, comme s’ils étaient seuls au monde, isolés comme des joyaux précieux qu’on dissimule dans la plus belle boîte cachée au fond du coffre fort.
Sans même le contrôler, elle pense au palais, à sa vie de Yeji. Normalement, pendant ces fuites, elle échappe à toutes ces pensées, elle profite pleinement de Minseo, reste dans le déni de la réalité qui la rattrapera bien assez tôt. Or, peut-être à cause de Dohyun qui est la démonstration vivante de son autre vie - ou plutôt devrait-elle dire : de sa vraie identité - tout ce à quoi elle pense là est relié à sa vie de princesse.
La pensée de son frère l’habite, elle se l’imagine inquiet pour elle, lui qui se met lui-même dans une situation délicate en aidant sa soeur à s’échapper. « Je suis certaine que Yesun adorerait cet endroit » murmure t-elle avec un brin de culpabilité. Sans se douter que des années plus tard, c’est elle qui l’amènera ici. « Tu as de l’argent sur toi ? » Question soudaine tandis qu’elle jette de nouveau son regard vers Dohyun, un sourire narquois sur le visage.

2016.
A vrai dire, Dohyun n'avait jamais été normal. Enfin, pas comme un adolescent normal, en tout cas. Il n'allait pas aux sorties organisés par ses camarades de classe après les cours, il ne faisait jamais de plans pour aller s'amuser quelque part, il disparaissait mystérieusement le soir après les cours. On ne pouvait plus le contacter et il devenait simplement out of reach. Comme la lune et la Terre qui se tournaient autour, Dohyun faisait constamment un cycle où il se rapprochait lentement des autres et puis, lorsqu'il se montrait suffisamment proche d'eux, il atteignait sa périgée et retournait en arrière, loin des gens, loin de l'agitation. Cycle qui, contrairement à la lune qui durait plusieurs jours, durait un seul jour. Dohyun atteignait son maximum en milieu de journée, atteignait son minimum à la fin. Étrange concept pour un être humain d'avoir à la fois besoin des autres et besoin de la solitude, mais le jeune homme avait arrêté de se remettre en question. Enfin, l'avait-il déjà fait un jour ?
Avec Yeji, il regarda la ville animée, vue de loin. Un peu la même vision que la lune avait de la Terre quand elle s'éloignait de cette dernière. Ne devait-elle pas aussi dire que la Terre semblait si vivante, vue de loin ? « Oui, » affirma t-il, le regard doux. « Vraiment vivante. » Et le regard glissa vers la princesse, dont il se tenait un peu plus loin. Ils n'étaient pas près, n'étaient pas loin. Ils se tenaient à une distance respectable de l'autre. C'était peut-être pour ça qu'il était capable de l'admirer, comme il aurait admiré une étoile. Mais Yeji était peut-être trop vive pour être une étoile. Comment pourrait-elle se tenir immobile pendant de longs millénaires ? Non, si elle devait être dans l'univers, elle serait une météorite. Une météorite qui arrivait sans prévenir, qui s'écrasait sur vous sans prendre garde à ce que vous faisiez et qui vous souriait une fois les dégâts commis. Et oh qu'il les sentait Dohyun, les dégâts dans son cœur. Simplement, il ne voudrait pas qu'elle soit une météorite non plus. Car une météorite mourrait, et Yeji ne mourrait jamais.
La princesse mentionna son frère jumeau et le garçon se rendit compte qu'il avait toujours les yeux sur elle. Ce ne fut pas pour autant qu'il prit la peine de les détacher ; bien au contraire, il continua à l'observer, sourire qui se forma à la mention du prince. « C'est vrai. Il est bien plus calme que toi, il apprécierait sûrement cet endroit. » Et c'est pourquoi c'est mon jumeau favori, aurait-il lancé dans un élan de taquinerie mais il sentait que ce n'était pas le moment (surtout que c'était complètement faux, même s'il aimait beaucoup Yesun, Yeji était... particulière).
Le sourcil se leva quand elle lui demanda s'il avait de l'argent. « Well, je dois avoir ça. Pourquoi ? » Et le sourire qu'elle lui lança ne plut pas vraiment à son porte-monnaie ; son cœur, si.

2016.
La ville a beau être très jolie, l’endroit relaxant et la présence de Dohyun idéale, Yeji n’est pas vraiment du genre à rester immobile à un endroit, perdue dans ses pensées. Ça, c’est ce que ferait son frère, ou Dohyun, peut-être, mais elle il faut qu’elle bouge. Elle s’ennuie rapidement autrement.
Alors une idée lui passe par la tête – qu’est-ce qui serait idéal à faire ici – et elle se tourne vers le garde du corps pour lui demander s’il a de l’argent. Un sourire narquois apparaît sur son visage sans qu’elle ne le réalise vraiment et ça n’a pas l’air de déranger vraiment Dohyun. «  Parce que je n’ai pas d’argent sur moi »  Bien sûr, Yeji a un compte en banque bien renfloué mais elle ne peut pas retirer de l’argent sans être tracée, et elle n’a pas souvent de la monnaie dans sa chambre pour fuir. En fait, la grande majorité du temps, elle n’a pas un sous sur elle quand elle devient Minseo.
Tournant désormais le dos à la vue de la ville pour se diriger vers Dohyun qui était un peu derrière elle, elle l’observe quelques secondes avant de dire : «  Il y a un endroit où acheter des snacks ici ? » Des snacks qui ne sont jamais servis au palais, ceux qu’elle voit sur Instagram, dans les séries, mais qu’elle n’a jamais goûtés. Elle a toujours voulu le faire lors de ses fuites, mais elle n’avait jamais eu l’occasion. «  Une épicerie, comme on dit » Ce genre de lieux où elle n’a jamais mis les pieds. «  Je veux qu’on achète tous les snacks d’une épicerie pour que je les goûte » Et rien qu’à y penser, elle salive déjà. «  Il n’y a pas des stands aussi pour ça, en extérieur ? Où on peut acheter des tteokbeokki, ou des dakkochi, bref ces snacks-là quoi ! » Et son sourire s’agrandit alors que ses yeux brillent de désir.

2016.
Un rire désabusé s'échappa de sa gorge alors que son regard traîna sur les lumières de la ville. « Est-ce que tu en as même eu sur toi, un jour ? C'est toujours moi qui te paye tout. » Et ça ne le gênait pas ; si la princesse avait eu de l'argent sur elle, il ne l'aurait même pas laissée payer. On ne faisait pas payer une princesse après tout, mais ce n'était pas vraiment la raison pour laquelle Dohyun ne la laisserait pas faire. C'était surtout parce que c'était Yeji qu'il ne la laisserait jamais payer.
Les yeux suivirent les mouvements de la jeune fille alors qu'elle se rapprocha de lui, l'observa quelques instants, tandis que le garde devait s'amuser à deviner ce qu'elle allait dire. Mais à la place, son cerveau se fit complètement dénué de pensées, tout son esprit étant concentré sur elle. Et puis, il se mit à imaginer des snacks tandis que Yeji proposa l'idée de manger tous les sancks qui existaient pour qu'elle les goûte. Cela tira un nouveau rire désabusé de la part de Dohyun : il n'en croyait pas ses oreilles. Elle ne serait jamais capable de tout finir et cela voulait dire que c'était lui qui allait devoir ramener ça chez lui ? Ou alors, qu'elle ramène tous les paquets discrètement dans sa chambre pour grignoter quand elle en aura l'occasion ? Deux épreuves bien compliquées. Il n'y avait même pas besoin de mentionner le coût monstrueux que Dohyun allait devoir payer, mais en tant qu'ancien noble, ce n'était pas vraiment dépenser de l'argent qui le dérangerait. Surtout pour Yeji. « Tu es vraiment une gamine, » dit-il alors que son regard tendre se posa sur elle, montrant bien qu'il était même prêt à accepter ça pour elle, sans que ça ne le dérange. « Ok pour les snacks, mis tu penses être capable de tous les planquer une fois que tu les auras tous goûté ? Car il est évident que tu ne vas jamais pouvoir tous les finir. » Et je ne les finirais pas à ta place. « Et oui, il y a des stands aussi. Ils ne se situent pas très loin d'ici. Ils sont plutôt fréquentés, par contre. » Mais vu l'apparence de la royaliste, personne ne risquerait de la prendre pour la princesse. C'était impossible que la princesse soit habillée ainsi. Et puis, s'il était avec elle, alors elle ne risquerait rien. C'était ce qu'il s'était juré. « Pourquoi si soudainement ? Tu as faim ? » demanda t-il en haussant un sourcil. S'il s'agissait de la faim, alors il pouvait l'emmener manger des choses bien plus bonnes. Sans se douter qu'elle voulait justement manger les choses que tout le monde mangeait.

2016.
Les yeux levés au ciel quelques secondes par la remarque de Dohyun, Yeji le regarde ensuite avec des yeux accusateurs. «  C’est fou ce que tu parles comme un radin quand tu t’y mets » Comportement d’une adolescente ingrate qui ne le remerciera pas pour toutes les fois où il a payé. «  Je te rappelle que je suis mineure et que je ne fais par conséquent pas ce que je veux de ma fortune » Persuadée que les choses changeront quand elle sera majeur, hâte d’être adulte sans savoir que la prison familiale n’emprisonne pas que les enfants.
Dans un espoir de donner envie à Dohyun – et donc le convaincre de dépenser son argent – elle énumère une liste non-exhaustive de tout ce qu’elle a envie de goûter. «  Pourquoi je les planquerais ? » Question posée de but-en-blanc, réellement intriguée par cette possibilité. «  Je les mettrai dans ma chambre, je les ferai goûter Yesun, et si quelqu’un tombe dessus, je dirai de mes yeux brillants d’innocence » - c’est faux, car jamais ses yeux n’ont brillé d’une autre lueur que celle de la rébellion - «  que c’est dohyun oppa qui me les a ramenés pour me faire plaisir » Complice d’un plan sans l’avoir demandé, mais de toute façon aucune règle n’interdit à Yeji d’avoir de la nourriture dans sa chambre.
Basculant ses longs cheveux blonds en arrière d’un sourire confiant, elle répond la tête haute : «  La foule n’est pas un souci pour Minseo » Double identité parfaitement maîtrisée en si peu de temps. «  Faim pas vraiment, mais j’ai envie de goûter les snacks que je vois dans les séries télévisées » Lassée des repas parfaitement équilibrés servis au château, elle rêve quotidiennement des fast food et de la nourriture grasse. « Bon bref, on y va »affirme t-elle en partant du principe que Dohyun est d’accord (de toute façon s’il ne l’était pas, il ne lui aurait pas divulgué la présence des stands). «  On commence par la nourriture des stands parce que ce sera difficile de la ramener, elle, il faut la manger chaude de suite servie, c’est ce qu’ils disent dans les séries. Les snacks de l’épicerie, eux, je pourrai les ramener au palais. » Il n’y a qu’à les mettre dans un sac plastique pour ne pas que ça l’encombre trop lors de son retour furtif au palais.

2016.
Dohyun se contenta de soupirer, n'ayant pas la force mentale de continuer ce débat – de toute façon, peu importe les arguments du garçon, la princesse aura toujours raison. Pour l'avoir connue pendant seize ans, il avait appris à ses dépens que contredire la jeune fille ne servait à rien et que lui-même, qui pourtant d'ordinaire fatiguait les autres, devait abandonner face à elle. C'était peut-être parce qu'il était plus âgé qu'elle ou parce qu'il la protégeait, mais elle avait toujours détenu un soft spot dans son cœur, ce qui le rendait plus doux et moins tenace avec elle. Car Dieu savait à quel point Dohyun était capable de fatiguer les gens, quand il s'y mettait, avec sa bouche servant de moulin à paroles et les idées fusant dans son cerveau. En illustration, il avait déjà trouvé dix arguments contre ce qu'elle disait mais il n'en fit rien.
A la place, il prit une expression outragée quand elle le mit au courant d'un plan qu'elle venait de créer de toutes pièces. « Hé ! Comment est-ce qu'on va me voir si on sait que je t'ai acheté tous ces snacks, hein ? » Completely whipped for her, et en fait il était loin de se douter que tout le monde savait déjà plus ou moins que Yeji c'était sa princesse. De toute manière, l'excuse que la princesse donnera était totalement vraie (il voulait lui faire plaisir) et puis il n'y avait pas de règle qui stipulait qu'une princesse ne pouvait pas avoir une chambre remplie de snacks. Cela venait simplement du bon sens, chose dont Yeji était dénuée.
La princesse confirma que la foule ne l'effrayait pas (c'était plutôt Dohyun qui en était apeuré avec une princesse déguisée à ses côtés mais il ne l'exprima pas). Il sourit d'un air un peu moqueur quand elle mentionna les séries télévisées, parce qu'elle parlait vraiment comme une enfant qui ne connaissait pas la vie – et en soi, c'était vrai, Yeji ne connaissait pas la vie que la plupart des enfants avaient connu. Cela la rendait particulièrement enfantine, mais tout aussi attachante. Surtout attachante.
« Oui oui, il faut bien la manger tout de suite servie, tu ne pourras malheureusement pas stocker ça dans ta chambre. » La taquinerie était trop tentante. Là, Dohyun se sentait vraiment comme un grand-frère, le grand-frère qu'il s'était toujours senti être en voyant Yeji grandir petit à petit. Et maintenant, la princesse était déjà si grande et il réalisait qu'il ne se sentait peut-être plus comme un grand-frère, mais autre chose. Il ne dit rien à ce sujet.
« Par là », dit-il, lui faisant signe de le suivre pour qu'il les mène aux stands. Ils n'étaient pas loin, alors le trajet se fit rapidement et les voilà dans une rue bien plus animée, au cœur des lumières qu'ils avaient observées quelques minutes plus tôt. « Fais ton choix, ce ne sont pas les aliments qui manquent par ici. » Il la regarda avec un sourire fier, le cœur malgré tout pas très serein parce qu'il avait peur qu'on la reconnaisse (même avec ses cheveux blonds). Alors il ne put s'empêcher d'ajouter : « Ne t'éloigne pas trop de moi. Fais toi discrète aussi, je n'ai pas envie qu'il t'arrive quelque chose. » Et il lui aurait presque pris la main pour la protéger comme on prenait la main aux enfants, si seulement il ne s'était pas rendu compte ce soir-là que prendre sa main à leurs âges signifierait quelque chose de différent.