il s'rappelle pas d'quelle mouche l'a piqué, il sait juste qu'il en avait marre d'rester enfermé. à peine trois mois qu'il avait quitté l'ancienne colocation pour rejoindre un appartement dans lequel il s'retrouve être tout seul, et un peu con; sang, il en a juste eu ras l'bol. d'rester tout seul, tout l'temps, d'sortir au beau milieu d'la nuit et d'se retrouver avec les camés d'son quartier -- il en a eu assez des mêmes gars défigurés à force d'trop se taper. alors il est allé un peu plus loin, c'soir, il a quitté yeodong et l'voilà à s'balader au cœur d'yesul.
comme si c'était son quartier, comme s'il y était un habitué, il s'est arrêté une bonne heure au comptoir d'un bar histoire d'enchaîner quelques soju qu'il a regretté en voyant l'prix à payer, avant d'se remettre à déambuler à travers les allées jusqu'à rejoindre stargaze. il y est jamais allé mais, eh, ça peut être sympas, pas vrai ? enfin, encore faudrait-il qu'il retrouve la monnaie qui traîne dans ses poches, ah, voilà! juste là, hop, pile assez pour payer l'entrée. il sait même pas c'qui peut bien passer à l'écran, ça a commencé depuis quelques temps déjà, mais c'est pas important -- il veut juste être ailleurs qu'chez lui. il a l'pas traînant d'avoir un peu trop consommé avant d'être venu ici, mais rien d'grave, il est encore presque sobre l'gamin, se contente d'se poser à l'arrière de la pelouse et d'profiter d'la vue qui s'offre à lui. un roulement d'yeux quand il s'rend compte qu'il est majoritairement entouré par tout un tas d'couples, soupir frustré quand un grand mec vient s'poser pile dans son champ d'vision, l'empêchant désormais d'avoir accès au film projeté. il a pas payé pour s'faire baiser ainsi, alors l'voilà qui s'redresse, rapidement, interpelle le grand. il est entouré d'quatre autres géants, bien évidemment. et il le voit, à sa face, sang, qu'ça va pas être une conversation courtoise.
tant mieux,
ça manquait presque d'mouvements, ici. « tu peux bouger? tu m'caches l'écran. » et l'idiot qui s'met à rire, grassement, alors que quelques couples s'tournent vers eux pour leur intimer l'silence. mais sang, il a pas qu'ça à faire. « tu m'as entendu, m'le fait pas répéter une troisième fois : bouge, t'as des meilleures places ailleurs. » mais ç'aurait été trop facile, hein ? s'en suit un échange peu agréable où sang s'fait insulter, bien évidemment seulement pour qu'il rétorque d'la même manière, et vous imaginez bien qu'une vingtaine d'minutes plus tard l'voilà entouré des cinq géants, en train d'cracher du sang, à l'arrière du parking, histoire qu'pas grand monde les voit et qu'personne n'appelle la sécurité. sang, il donne pas cher d'sa peau, si la sécurité débarquait -- probablement qu'il rejoindrait la longue lignée des yoon en prison.

on l’avait planté. pas avec un couteau, non, tout allait bien dans le meilleur des mondes en apparence. il y avait eu un temps d’adaptation mais maintenant, mécanique bien rodée du quotidien, du métro boulot dodo, des idées noires dans les souterrains. des gens qui vont et qui viennent, des quais qui se vident. p’têtre c’est ça : les gens dans sa vie vont et viennent, ont d’autres trains à prendre. mais c’était ce qu’il avait voulu non ? à être mieux seul que mal accompagné, à vouloir être indépendant sur les boulevards, sans panneau de direction.
alors l’habitude de traîner dehors, surtout l’été, ne change pas. et les gens qui devaient venir le rejoindre avait trouvé mieux à faire, mais saem a pas l’habitude de ne pas se rendre à un endroit juste parce qu’il n’est pas désiré. il veut qu’on le voit, on le verra, et il sera brillant plein de lumière, et ils apprendront de leurs erreurs.
puis le cinéma a toujours intéressé un enfant trop dissipé. surtout pour sécher des cours, se retrouver dans le noir, s’imaginer d’autres vies. le stargaze au nom qui sonne joli, qui semble être déjà mieux que le reste. bout de rêve pour quelques billets qu’il a gagné tout seul, comme un grand. se posant à l’arrière, comme il se pose toujours, comme dans les salles de classes trop remplies auxquelles il ne remettra plus les pieds. manie d’observer les gens qui ne savent pas qu’ils sont observés, des paroles écrites dans un coin de sa tête, se demandant sur quelle genre de vie ils ont derrière tout ça, et s’ils pensent, s’ils ne sont pas juste des personnages non-jouables pour emplir l’arrière-plan. perdu en tergiversations, quand il entend mais surtout voit la réunion d’abrutis. sourcils noeud, se disant bien qu’au bout d’un moment, ils allaient s’asseoir, c’est logique. personne ne s’assoit.
et puis plus rien. et puis tergiversations, simagrées. se dire que ça ne le concerne pas, mais ils étaient cinq, et ils ont disparu, et il était seul, et est-ce qu’il a envie vraiment de finir mal, mais besoin d’expier, et puis pas comprendre ce qu’il se passe dans sa tête, dans la leur, dans ses jambes qui le mènent à se lever, dans sa voix qu’il s’entend dire « ah ouais mais vous vous trouvez vraiment forts et intelligents à être cinq sur lui en fait » petit gabarit qui devrait se la fermer plutôt que de s’enrôler dans des combats qui ne le concerne pas, du sarcasme insolent des gens à qui on a pas appris à se taire. insulte, c’est qui, ton pote, dégage. mais le problème, il s’en fout que ce soit pas son pote, il a les mains liés et un pas déjà dans l’entre-deux, saem ne résiste pas à la tentation de s’approcher. parce que ça devient personnel quand on l’insulte directement, qu’il rend immédiatement, repoussant un mec quand même plus grand pour essayer d’aider à relever  le pauvre gars qui semblerait presque apprécier de saigner, « ça va ? » soit la question la plus inutile créée sur terre, posée au pire moment, mais toujours avec le sourire.

sang, il a le sang chaud -- et le cœur tendre, susurrait sa mère quand, gamin, il avait encore cassé de la vaisselle. sans faire exprès, qu'elle pensait. naïve matriarche qu'il n'a pas pu s'empêcher de briser un peu plus avec les années, et paternel qui s'en est toujours méfié. de la graine de voyou, qu'il disait, quand sang rentrait l'arcade ouverte, quatorze années à peine entamées, sourire mesquin accroché aux lippes cassés. faut s'en méfier, de l'aîné. mais il y a iseul à protéger, il y a les insultes qu'il peut proclamer, et l'adrénaline qui coule dans son sang, l'anticipation et l'excitement quand il voyait le poing s'lever pour s'abattre sur son visage déjà trop défiguré. sang, il a toujours aimé se bagarrer -- il a arrêté de les éviter, a même commencé à les provoquer. gamin des rues, pauvreté se lit à travers ses chaussures trouées, ce fut son seul moyen d'communiquer. de s'exprimer, d'se laisser aller. d'relâcher la pression qu'il accumulait à la maison. iseul lui en voudrait si elle savait où il se trouvait. si elle le voyait, poing serré, respiration haletante, à frapper à la mâchoire ce grand dadais, avant d'se faire surprendre par un coup à l'estomac. recracher l'hémoglobine sur l'pavé chaud, s'essuyer vaguement les lèvres de son bras, et s'faire attaquer aussitôt qu'il s'est relevé. tomber.
tomber.
c'est ça qu'il aime, sang. tomber. et se relever, en remettre une, et tant pis s'il finit par se retrouver au fin fond d'une ruelle, l'esprit comateux, coquard aux yeux. ill aura au moins réussit à s'vider, d'ces émotions néfastes, celles qui s'effacent jamais. et là, au sol, à l'arrière de ce parking, à l'abri de la sécurité du cinéma plein-air, il y a ce sourire qui s'étire sur ses lippes. visage défiguré par cette joie inégalé. il s'en fout d'se faire massacrer, bien qu'son ego serait probablement sacrément touché. et puis. et puis il y a cette voix qui s'élève, et ses sourcils qui se froncent, quand il voit le gamin se pointer. putain, il va tout gâcher. (et ça serait presque exaltant, vous savez, d'le voir le défendre, l'aider à s'relever, si sang était pas aussi buté). « ça va, j'maîtrise, tu f'rais mieux d'retourner mater l'film. » à nouveau, à cracher du sang au sol, avant d'se redresser, bomber l'torse et tendre les muscles inexistants. hausser un sourcil en direction du groupe face à lui, d'ces idiots qui souhaiteraient en découdre, et sang, il est prêt à ça, il s'en fout, s'il est seul face à ces gars-là. (sauf qu'il est pas seul, p'têt qu'il le sera jamais plus).

il sait ce que c’est que d’être énervé contre le monde, il l’a trop souvent été lui-même. il y a un moment où, lorsqu’on a décidé de détester, que tout devient insupportable dans le moindre de ses mouvements. des oiseaux qui se moquent, du ciel trop bleu, du bitume qui ne change pas, des sourires des gens qui ne sont jamais vrais. alors quand l’occasion se présente, de pouvoir venger sa vengeance, il peut comprendre de sauter dessus. de détruire les mauvaises herbes et les fleurs qui poussent dans les interstices, de tout arracher. ce qu’il y a, c’est qu’il est beaucoup trop borné pour refuser d’aider quelqu’un, même s’il ne le mérite pas, et même s’il l’envoie chier. quelque chose à voir avec la justice interne et le besoin d’attention, quelque chose pas trop éloigné de la volonté d’écrire des musiques dessus quand le sang ne tapera plus dans ses oreilles . « je m’en fou du film » laisse-moi t’aider, laisse-moi prendre des coups. « et sans vouloir te vexer t’as pas l’air de vachement maîtriser » mais qui aurait besoin de l’aide d’un teenage dirtbag; grande gueule parlant plus fort qu’il ne devrait.
et si pour son compatriote, ils ne sont pas ensemble, pour le groupe en face, la situation est plus claire. il entend une insulte qui ne lui plait pas, masculinité fragile qui insulte l’orientation, et s’il se tentait encore un peu à repartir, il ne peut plus dans ces conditions. saem s’approche pour demander de répéter, même s’il doit lever légèrement la tête il a toujours de l’aplomb dans les veines, se fait repousser, et son poing part si facilement contre eux. pas un pour rattraper l’autre, chaos des émotions en vrac. il n’a qu’à le détester pour s’approprier ses blessures, il aura toutes les nuits du monde pour panser ses plaies s’il le faut (et il pourra l'aider, pour s'excuser de ne pas l'avoir laissé en solitaire, de l'avoir forcé à partager les hématomes). trop tard pour faire demi-tour.

il n'a pas le temps, ni l'envie. il ne veut pas partager la bagarre et encore moins avec ce gamin sorti de nul part. il veut taper, sentir ses phalanges s'ouvrir et voir le sang s'étaler sur le bitume. mais le gamin à ses côtés n'a pas l'air de vouloir le lâcher -- non, il préfère rester à ses côtés. l'aider. comme si sang pourrait un jour avoir besoin de l'aide d'autrui, comme s'il était capable de s'appuyer sur quelqu'un et d'se dire, toi, t'es mon allié. t'es mon frère, et ça va continuer comme ça. non, sang, il a b'soin d'personne -- d'iseul, potentiellement, qui ne le rappelle jamais. monté de rage à la pensée de sa sœur qui a décidé de l'ignorer, se traduit par son poing qui s'abat sur le visage déjà cabossé de son adversaire. ce grand dadais qui ne cesse de le chercher, de l'insulter, mauviette, qu'il l'interpelle, avant que la raison ne quitte le cerveau de sang. que son poing s'abatte de manière répétitive sur le visage de l'idiot, il oublie, sang, qu'il faudrait éviter d'attirer l'attention sur eux, qu'il pourrait avoir des problèmes. il oublie, aussi, qu'ils ne sont pas que deux. seul ne compte l'adrénaline qui le traverse, la rage qui l'habite et qui ne semble jamais vraiment s'effriter. alors quand il se fait attraper par le bras et jeter plus loin au sol, sang voit rouge. ils sont deux sur lui, cette fois. et il ne comprend pas. il ne voit pas l'intérêt ; c'est injuste, c'est mal fait, c'est pas suffisamment stratégique. mais en même temps... en même temps il comprends. parce que probablement qu'à sa place, il ferait la même chose -- mais il n'a pas tant le temps d'y penser. bientôt, il y a un sifflement, suivi d'un homme qui arrive du bout du parking. la sécurité. ils se sont fait repérer. et la bande adverse s'empresse de fuir (des lâches), pendant que sang cherche un échappatoire du regard. il a encore quelques instants pour se décider, de quel côté il va bien aller ? et puis, une toux singulière à ses côtés (son allié), « dépêches toi, viens avec moi ! », avant qu'il ne l'attrape par le bras pour le tirer dans la direction opposée à la sécurité.

les problèmes, il ne les entend pas arriver. il préfère les affronter face contre face, une fois frappé de plein fouet et qu’aucune autre solution ne puisse se présenter. il n’entend pas, ne comprend pas la signification du sifflement au loin. bruit parmi les bruits. c’est presque qu’il irait se relever et partir à la poursuite des gars en fuite, alors que le sang monte, non, est déjà monté à la tête, les étoiles dans les yeux et pas des étoiles de plaisir. la voie lactée et l’idée que demain, ça fera mal de bouger n’importe lequel de ses moindres muscles. il tousse, et se fait tirer non sans réclamation au service après vente « mais on peut pas les laisser partir comme ça ? » avant de finalement se laisser entraîné par la voix de la raison. quelle qu’elle soit, quelque part dans le monde. si rare. surtout lorsqu’en fait, du coin de l’oeil, il voit la sécurité arriver, et qu’une nuit au commissariat n’est pas dans ses projets. ils courent sur les deux pattes amochés, et saem ne sait pas où ils peuvent se diriger mais la direction semble bonne. ils s’arrêtent pour virer à droite, virer à gauche, les regards de piétons paniqués, se coller au mur en soufflant un bon coup. « je crois qu’on les as semé » ils ont probablement couru plus qu’il ne fallait, par précaution inutile. saem s’étale contre le sol sale, envie de vomir qui tord les côtes, gout métallique du sang en bouche parce qu’il y en a vraiment, et il éclate de rire parce que rien n’a de sens. « tu comptais.. vraiment.. te prendre cinq mecs tout seul » on ne regardera pas son palmarès d’accomplissements, saint pierre n’en aura pas besoin.