Énième plainte étouffée dans le fond de la gorge, les iris plongés sur le téléphone qui ne cesse de peindre sa soirée de mille nuances colorées à chaque fois que les vibrements retentissent. Haussement de sourcils à la lecture des nouveaux messages, son visage témoigne de son incompréhension. Des questions en centaines, les réponses tant attendues dans l’heure qui suit. Et il ne sait pourquoi son corps se prépare, habillant l’âme égarée dans ses apparats soignés, parce qu’il ne sait où l’esprit divaguera là-bas, quand son regard croisera cet autre qu’il ne connaît qu’à travers la poésie et les légendes qui se racontent. Jamais les mots n’ont été plus que de bref témoignage de pensée, les yeux ne se sont jamais plus posés sur la silhouette masculine qui s’impose à lui aujourd’hui. L’imagination dépasse l’entendement – car les jours prochains n’ont que faire dans ses songes, et les émotions futures sont dures et complices des rires et des rougeurs accompagnés. À lui la résistance, ô cruauté divine tombante des cieux ! De ces épreuves, de ces obstacles, sera-t-il courageux ? Ou au contraire, trébuchera-t-il dans un gouffre sans fond ? Le poids semble lourd sur les épaules ; myocarde synonyme d’appréhension. Il ne sait rien. Ne sait pas. Et il ne s’imagine pas.

Alors le corps pavane dans les ruelles nocturnes, l’assistant de navigation à la main, l’adresse retapée soigneusement. Bientôt au loin, c’est une ombre familière qui se jette devant ses yeux. Quel sort lui réserve-t-il ? À peine les mots échangés, que la tension existait. Et au fond, n’étaient-ils pas mieux avant que ce ne fût le cas ? Dans ce club, assis l’un face à l’autre, sans jamais que les phrases virevoltes dans un univers différent. Étrange. Bizarre. Gardant la beauté des premières impressions belles, Eden croit encore à un possible moment calme et partagé dans une voie lactée de mille compositions littéraire. Fou, certainement.

Il présente sa main, respectueusement. Le tutoiement n’avait pas eu le temps d’exister dans les messages, pourtant la distance entre eux témoigne dans ses faits et gestes. Ash ! « Je suis ennuyant ? » Il réprime un sourire, et les doigts se frôlent pour serrer leurs mains, à peine quelques secondes, mais suffisante pour instaurer une gêne insoupçonnée. L’ambiance sonne étrange à ses côtés, ô les émotions vaguent ! Ni que dire ni que penser, il ne sait. Alors ses pupilles s’imaginent le restaurant au travers des parfums délicats qui se mêlent aux narines curieuses. Il rêve. Silencieux. Observateur de cette vie autour d’eux, fourmis dans une vaste galaxie. Il en sourit, le traître ! De ces enfants insouciants à ces grands-parents grincheux, au couple doucereux et à l’âme solitaire dans un coin. La beauté d’un tableau si beau, il est soudain curieux de savoir ce qu’ils seront à eux deux, une fois entrer dans cet endroit – comme si une fois rendu, la marche-arrière n’existerait jamais plus que des possibilités lointaines.

C’est étrange ; comme lui.
– Comme eux.

les iris s'amusent de chaque réponse reçue, lueur féline brillant dans ses pupilles à le voir entretenir ses taquineries même s'il en parait tant exaspéré. eden est une proie facile ; pourtant, sieon ne s'en délecte pas moins. l'air de marbre facilement ébranlé, malgré l'apparence qu'il tente de se donner. même la brièveté de ses messages le trahit – peut-être que s'il lui accordait assez de temps, il finirait par céder. all bark and no bite et ce serait un mensonge total que de dire qu'il n'adorait pas l'affoler. c'était à chaque fois un spectacle exquis que de le voir reculer loin de lui jusqu'à se heurter au mur de ses propres doutes, ceux qu'il adorait attiser de ses propres flammes.

aujourd'hui encore sieon avait envie de le voir se consumer devant lui ; son orgueil aurait voulu dire que c'était prévisible, pourtant la surprise s'était clairement installée sur son faciès une fois l'invitation acceptée. les barrières entre eux s'effondraient, peut-être juste assez pour laisser sieon entrevoir à travers une fissure ce dont il avait besoin pour annihiler la distance. il ne s'en plaignait pas, pourtant – elle offrait une tension intéressante, une corde raide à naviguer en une danse périlleuse. le danger et l'imprévu, deux choses qu'il convoitait – et qu'il se plaisait maintenant à incarner.

il était difficile de ne pas reconnaître eden. sa présence était manifeste : silhouette vacillante, comme si elle regrettait d'être là, hésitait déjà à repartir. là où la plupart s'offusquerait, sieon se sentait flatté. chaque acte de résistance trahissait la peur de faiblir devant lui et sieon s'en nourrissait, la démarche plus prédatrice que jamais alors qu'il s'avance vers lui. « c'est pas un dîner d'affaires, tu sais. » sourcil haussé, regard dédaigneux jeté à la main tendue, pourtant il s'exécute, ses phalanges glissant lentement sur la paume du jeune homme avant de s'en saisir pour la serrer doucement. sourire traître lorsque le contact dure quelques secondes de plus qu'il ne devrait. « tu retiens cette partie mais pas celle où je dis que t'es mignon ? » il rit doucement, refusant catégoriquement de le laisser oublier.

pas de répit pour lui ce soir ; pas alors qu'il l'attire à l'intérieur de ce restaurant huppé, lumière tamisée et musique lounge créant une ambiance qui suffirait à elle seule à gêner eden. « une table pour deux – pour mon partenaire et moi, s'il vous plaît, » signale-t-il au maître d'hôtel. le mot chargé d'ambiguité ; comme eux, comme leur relation. comme le sourire qu'il lui adresse avant de les conduire à leur table et observer l'aîné s'installer face à lui, alors qu'il le toise d'une moue faussement boudeuse. « bah alors, tu vas pas tirer ma chaise pour moi ? » sieon debout près de son siège, main sur le dossier et tête penchée sur le côté, le sourire innocemment provocateur en attendant que sa demande implicite soit exaucée, sans laisser à eden le choix de refuser.

Des tensions en perdition. Explose – fulmine. Des questions à foison. Curieux. Gêné sans comprendre. Épris de mille émotions différentes ; partage équitable entre embarras et dégoût. Mais sans qu’il ne sache pourquoi, le penchant se dirige étrangement entre appétence et envie. Que de connaître cette raison foudroyante. À ces échanges téléphoniques, les doigts tapotant dangereusement. Comme de ces jambes qui avancent vers l’inconnu. Et de ces aventures dont il ne sait que peu de choses, il s’apprête à atteindre la barrière des limites – effleurer du bout des doigts l’interdit. Sieon – Nahash. RUSE. Dans l’inconscience néfaste. Il s’efface.

Grimace à l’écoute des mots qui s’imposent. Il s’imagine Sieon jouant de ses émotions, comme dans un de ces jeux dont il finira par se lasser quand l’obtention viendra. Néanmoins il est loin de partager les songes qui traversent l’esprit distinct de l’homme. Incapable d’entendre ce qui résonne au loin. Ni de démêler l’envie qui se glisse dans l’esprit. Péché mortel. Incantation malsaine. Une évidence qui germe plus encore dès lors que les paumes s’abordent longuement. Timidement. ( Et dans son regard envoûtant, parfois l’esprit s’égare. Et dans ses sourires charmants, l’esprit s’éprend inconsciemment. )


Les joues s’empourprent de notes délicates. D’un teint plus rosé que pâle. Les mots aisés et insoupçonnés qui découlent entre les lèvres mal-aimés. Atteignent le palpitant sans difficulté ; sans doute est-il trop facile. Derrière les apparences obscures et les paroles froides qui s’élancent. Peut-être est-il trop faible. Devant les compliments simples et élégants. Face à cette attitude que le garçon ne se laisse plus vivre. Mais de n’être apte à lutter, Eden se mord les doigts – qu’un homme lui fasse vivre ça. Dérouté. Dégoûté. Mais ce n’est rien de dramatique. Que des mots.

Rien de grave et d’écœurant ;
– une soirée entre amis.

Alors silencieux il s’avance. Toujours sur ses gardes. Comme une habitude qui ne cesse jamais vraiment. Voilà cinq ans que la méfiance fait son quotidien, plus encore peut-être dans cet univers qui est sien. Sieon ennemi numéro un. Et son exagération. « Partenaire de littérature. » ajoute-t-il. Nuance qui ajoute son lot d’importance dans sa tête. Calme les mœurs. Retire l’ambiguïté qui n’arrêtera pas d’exister complètement. Sans comprendre le pourquoi du comment. Puis, il s’assoie à cette table qu’on présente à eux comme pièce maîtresse de la scène. De cette nouvelle page, de ce nouveau livre qu’ils ouvrent ensemble. Et alors est-ce une nouvelle ? Ou un roman plus important ?

« Non, tu n'es pas un prince à ce que je sache. Tu n’as pas l’air manchot non plus à ce que je vois. Mais je me trompe peut-être ? » Il souffle. Soupire encore et encore. S’exaspère de l’attitude parfois enfantine dont fait preuve Sieon. Pourtant il sourit derrière ses mots de prime abord froid. Parce qu’il n’en reste pas moins amusé, Eden. Captivé par cette simplicité égoïste qu’il exprime. Mais un égoïsme allocentrisme. « Je suppose que tu vas rester debout jusqu’à ce que je cède … » Il se relève, écartant la chaise qui se présente devant lui, fatigué. Et retourne sur ses pas, retrouvant le confort de la sienne, les yeux captivés par la carte et ses délices. Fais son choix sans éclat en se noyant parfois dans le regard sournois de son partenaire. Discret.

« Pourquoi est-ce que tu m’as emmené au restaurant ? J’ai l’étrange sensation que nous ne sommes pas venu parler de littérature, et c’est pourtant la seule chose qui nous lie toi et moi. Alors dis-moi Sieon, pourquoi suis-je avec toi ? On ne se connaît pas. » Ose-t-il finalement prononcer dans l’obscurité.

les couleurs défilent sur le visage d'eden, arc-en-ciel de confusion surgissant derrière les nuages de doute. beau spectacle que sieon pourrait admirer toute la soirée — c'était bien là son plan. les phalanges s'éternisent sur sa main, se faufilent dans le creux de son dos pour le diriger vers leur table lorsque le maître d'hôtel les y mène, insensible aux mots qu'ajoute eden à ceux du blond. « c'était pas la peine de préciser, tu sais, susurre-t-il au creux de son oreille d'un ton taquin, il s'en fout un peu. » accusation à peine voilée. est-ce que tu as des choses à cacher, eden ? à te cacher ? il ne la fera pas à sieon, pas à ses yeux félins qui étaient déjà en train de le mettre à nu. les pupilles dilatées, comme s'il était prêt à bondir ; chaque mot une attaque envers les défenses d'eden qu'il voit s'affaiblir malgré l'air fier et impassible.

sieon l'est aussi, inébranlé par les répliques d'eden. son hostilité ne fait que l'encourager à abattre les murs qu'il dresse sans cesse entre eux, comme un enfant qui insiste plus on lui refuse quelque chose. alors il reste dressé là, inséparable de cette chaise qu'eden se doit de tirer pour lui. « j'aurais pu être prince, tu sais. » la tête penchée sur le côté et le sourire presque arrogant sans qu'il n'en dise plus sur son sang royal dont il ne se vante que pour plaisanter. et il se penche en avant pour souffler entre eux comme un secret : « il y a beaucoup de choses que tu ne sais pas à propos de moi. » aussi mystérieux que suggestif, les mots recelant des promesses d'expériences qu'eden ne connaissait pas encore. « bingo. » les lippes s'étirent avec satisfaction et il daigne enfin prendre place à son siège, l'air encore plus ravi lorsqu'il se retrouve face à l'aîné. ce n'est qu'après s'être abreuvé de ce paysage qu'il laisse ses yeux glisser sur le menu, pourtant moins intéressé par ses contenus que par sa compagnie.

la carte finit oubliée sur la table lorsque la voix de l'aîné quémande son attention. et il la lui prête entièrement, la joue reposée au creux de sa paume et une courbe séduisante aux lèvres. « justement. » confirmation graveleuse, la voix basse et décidée. « on ne se connaît pas, c'est dommage, non ? » une erreur à rectifier, des secrets à dévoiler et sieon se demande combien de temps eden saura garder les siens. il serait prêt à miser sur une durée minime. un serveur se présente pour leur servir de l'eau et sieon le remercie d'un signe de la tête avant de se retourner vers son camarade. « on n'est pas obligés de ne se voir que pour parler de littérature, non ? c'est bien de tisser des liens hors du club, » suggère-t-il innocemment bien que ses intentions soient tout sauf ça. et il se prélasse dans son siège, le bras reposé sur l'accoudoir tandis que du bout de son index il trace le rebord de son verre sans quitter eden du regard. « tu aurais préféré que ce soit shanshan qui t'invite ? »