il y avait plein d’événements que noha ne voyait pas venir. les attentats par exemple, les explosions ayant secoué la capitale alors qu’il était à des kilomètres de cela. ce qui l’amenait à se demander si on ne l’avait pas volontairement écarté, s’il n’y avait pas quelque chose en dessous. non, il ne se questionnait pas, il en était presque sûr.
mais s’il y avait bien un événement qui planait au dessus de sa tête depuis quelques temps, c’était bien cette rencontre. officielle, semi-officielle. vêtements repassés à la perfection, parfum fleuri, toujours impeccable, demi-sourire sur son visage, pas d’anxiété pour les princes, pas d’envie d’être ailleurs : pas l’ombre même d’un choix, donc l’idée n’effleure même pas son esprit. personne ne l’oblige à faire bonne impression, une part de pitié pour sa future promise doit certainement l’envahir alors qu’il traverse les portes de grand standing, qu’on l’amène avec maintes courbettes autour d’un coin plus retranché. il est en avance, préfère pouvoir juger de la situation de loin et commencer à trop réfléchir. commencer à se poser des questions sur l’avenir, sur ce que cela voudra dire dans dix ans, sur le temps qui passe et sur le serveur qui vient lui demander s’il souhaite commander en attendant mais noha hoche la tête, refusant poliment. il se demande s’il pourrait avaler quoi que ce soit. le jeune homme défile les derniers fils d’actualité sur son téléphone, avant de relever la tête au bon moment pour l’apercevoir au loin. bien élevé, se relève, enlève les plis inexistant de sa veste, et on a toujours pas appris aux princes à faire s’incliner auprès du peuple aussi noble qu’il soit, « bonjour, j’espère que le chemin n’était pas trop long pour venir jusqu’ici ? »

nervosité indécelable sur les traits de la poupée, et pourtant le palpitant s’agite dans sa poitrine alors qu’elle passe la porte du café. le sentiment désagréable d’être trop à l’étroit dans le col de sa chemise ((le regret, presque, de cette tenue qu’elle a mis bien trop de temps à choisir)). apprêtée comme à son habitude, manucure irréprochable, cheveux brillants, vêtements fraîchement repassés. cette armure qui la protège depuis déjà de longues années et sans laquelle elle ne serait sans doute pas capable d’affronter le quotidien. une esquisse de sourire dessinée sur les lèvres et les incidents qui ont ébranlé la capitale du matin calme semblent presque effacés. le bras guéri, elle n’en porte plus les traces sur elle, pourrait presque croire qu’il ne s’agit que d’un lointain cauchemar sorti de l’imagination collective. et les gens autour d’elle avancent sans peur, passent à un nouveau chapitre ; alors il y a un peu d’amertume à savoir sa vie bouleversée. ce rendez-vous, elle ne l’aurait jamais imaginé quelques mois auparavant. trop candide peut-être pour penser échapper au chemin qu’elle a vu ses aînés emprunter. mais elle a toujours été la favorite d’un paternel qui ne savait rien lui refuser. statut de benjamine qui la protégeait aussi, privés de leurs titres les nobles n’ont plus rien à transmettre et elle avait eu la naïveté de croire que cela la libèrerait des traditions familiales. alors quand l’idée a été évoquée pour la première fois, la pilule a été difficile à avaler.
c’est pourtant la tête haute et le dos droit qu’elle s’avance vers la table où est installé noha. ses talons claquent sur le sol et si le bruit qui résonne lui donne l’impression d’être insignifiante elle ne le laisse pas paraître. l’endroit respire le luxe et elle ne peut que remarquer les regards curieux qui s’arrêtent parfois sur le prince qui s’est levé pour l’accueillir. impossible pour lui de passer inaperçu et elle a soudain l’envie d’être ailleurs ((partout sauf ici)). quand elle arrive à sa hauteur, elle s’incline pourtant avec respect, exécutant une révérence parfaite comme on le lui a appris à son plus jeune âge. « votre altesse » le titre officiel et la formalité ne la mettent pas à son aise. les mauvaises habitudes prises à force d’être collée à yeji. si sa meilleure amie est presque une soeur pour elle, elle en oublie que d’autres membres de la famille royale ne sont que des inconnus. alors elle reste debout comme le veut l’étiquette, attendant que le prince n’esquisse le premier geste pour s’installer à leur table. « au contraire le lieu est très bien choisi. » pas de ceux qu’elle a l’habitude de fréquenter ((préférant dans son quotidien des endroits plus terre à terre)), mais sans nul doute adapté au contexte dans lequel ils se trouvent.