Depuis que Dohyun était né, on lui avait mis un seul but dans son crâne : intégrer la garde royale rapprochée, protéger du mieux qu'il pouvait la famille royale, sacrifier sa vie pour les leurs. C'était donc sans surprise que le garçon avait développé ces idées-là dans sa tête, mais il les avait surtout développées envers une personne. Khan Yeji. Une rencontre lui avait suffi pour le convaincre, le convaincre qu'il devait à tout prix protéger ses yeux pétillants, son sourire enjôlant, son bonheur candide. Souhaitant devenir celui qui la protégera jusqu'à la fin de sa vie, ça aurait pu être un but honorable si des sentiments n'avaient pas décidé de s'y mêler. Quel genre de garde tombait amoureux de la personne qu'il avait choisie de protéger ? C'était comme un avocat qui tombait amoureux de son client, un médecin qui tombait amoureux de son patient et Dohyun ne voulait pas le concevoir. Pour lui, son travail était plus important que son cœur et il avait décidé de fermer ce dernier au monde. Mais parce qu'il n'était pas un robot, il avait toujours trop de failles et c'était presque ridicule à quel point Yeji en profitait trop facilement. Elle ne faisait pas exprès évidemment ; mais quelqu'un devrait lui dire que ses sourires, ses regards, son toucher, c'était trop pour le garçon et que s'il voulait la protéger, il voulait aussi l'aimer. Deux choses contraires pour lui, deux choses qui ne pouvaient pas arriver. Ce n'était toutefois pas l'avis de leurs familles.

Au fait, oppa. Tes parents te poussent aux fiançailles, toi ?

Une question qui était entrée encore plus profondément dans son cœur, élargissant encore l'une de ses nombreuses failles. Il déglutit, tourna le regard vers la demoiselle. Ils étaient seuls dans un coin du palais, personne ne pouvait les entendre, personne ne pouvait les voir. Cela accéléra le cœur de Dohyun (qui s'accélérait toujours en la présence de la princesse). Mais là, il accélérait beaucoup trop. C'était une question un peu interdite, entre eux. Parce qu'ils ne pensaient pas au mariage, ils disaient être « amis » et puis c'était tout. Yeji disait toujours qu'une femme n'avait pas besoin d'un homme et il le savait très bien. C'était bien pour ça qu'il n'avait jamais osé rien faire avec elle parce qu'il savait qu'elle ne l'accueillerait pas à bras ouverts. C'était aussi pour ça qu'il se sentait coupable, car si leurs familles les poussaient à être ensemble, Yeji ne sera pas heureuse. Si elle ne l'était pas, il ne pouvait pas être heureux et il aura échoué à protéger son bonheur. Pour un garde, c'était inconcevable.

Il sourit légèrement, regarda plutôt le ciel que la demoiselle parce que son regard était impossible à soutenir. « Oui, un peu, » répondit-il en se grattant la nuque. « Ils visent surtout quelqu'un... en particulier. » Il glissa un petit regard vers elle qu'il fit fuir immédiatement, comme si ses yeux avaient brûlé en regardant le soleil trop éclatant. « Et toi ? En tant que princesse ils doivent te fiancer à quelqu'un non ? » Il aimerait que ce ne soit pas le cas mais si Yeji ne se mariait pas à lui, alors elle se marierait à quelqu'un d'autre. Un autre noble. Et si Dohyun disait qu'il serait heureux parce qu'il avait fermé son cœur, au fond il y avait trop de failles. Et ces failles devenaient trop grosses. Trop apparentes. Bientôt, il ne sera plus capable de lui cacher qu'il ne voulait pas que la protéger mais qu'il la voulait aussi.

Adossée contre une des façades du très grand palais, elle observe Dohyun de longues secondes avant de poser sa question. Elle sait pas comment lui demander, comment aborder le sujet, ils se connaissent depuis si longtemps mais n’ont jamais franchi une certaine ligne – celle de simples amis. Pourtant, ses sentiments en disent autrement depuis toujours, trahis par les regards timides qu’elle lui lance, une certaine rougeur sur ses joues. Comment dire à un ami d’enfance que depuis qu’ils se connaissent, ses parents lui demandent de l’épouser – et comment le dire quand, en plus, cette même personne est son premier amour ? Le silence qui s’est installé la pousse à se lancer mais elle sait qu’une fois la question posée, elle ne pourra plus faire demi-tour. Le sujet sera posé et il faudra aller jusqu’au bout, rentrer sur ce terrain glissant. Parler de fiançailles avant même d’avoir le temps de se déclarer – est-ce ça le destin d’une princesse ? Se demanda t-elle avec désarroi.

Elle prend une grande respiration pour ne pas que sa voix tremble, elle maîtrise l’exercice, entraînée depuis toujours aux grands discours. « Au fait, oppa. Tes parents te poussent aux fiançailles, toi ? » Son coeur s’accélère dès que la question est posée, deux sentiments se mélangent en elle : l’envie d’entendre la réponse, l’envie qu’il ne réponde jamais. Que lui dire s’il répond oui – que lui dire s’il répond non ? Elle maintient son regard tant bien que mal, essaie de ne pas trop trahir son anxiété. Elle sait qu’elle aurait pu engager ce sujet avec n’importe quel autre garçon sans vaciller. La petite brise extérieure la fait frissonner – ou bien est-ce la peur – ce n’est pas un temps à porter une robe mais les princesses portent des robes, quand elles ne fuient pas le palais en sweat noir. La réponse résonne dans cette ambiance, elle déglutit. Une en particulier ; une certaine peur d’apprendre que ce n’est pas elle. Et si la famille de Dohyun a déjà choisi quelqu’un d’autre ? Lui qui est si docile à sa famille, va t-il oser refuser pour être avec elle, si un jour elle se déclare ? Elle ne veut pas savoir mais elle ne peut pas esquiver le sujet plus longtemps, ça fait trop de temps que sa famille lui en parle – il vaut mieux qu’il l’apprenne de sa bouche à elle que de celle d’un article trop curieux. « Justement » commence t-elle, un peu tremblante, elle remonte le regard vers les yeux du jeune homme. « Mes parents pensent que tu serais le gendre idéal. » ose t-elle enfin dire d’une seule traite, la voix vacillant dans les aigus. Encore une fois, elle continue de le fixer, elle a peur que l’ambiance soit encore plus lourde si elle évite son regard – elle ne veut pas qu’il pense qu’elle est contre l’idée. Elle a beau dire qu’elle ne veut épouser personne, elle sait qu’au fond d’elle, les futurs qu’elle s’imagine sont toujours à ses côtés à lui. « Depuis toujours, en fait » complète t-elle, comme si c’était la peine de le préciser. Elle attend de voir sa réaction, elle ne sait plus quoi dire. Qu’est-ce que tu en penses donnerait l’impression qu’elle fait sa demande en mariage, pourtant c’est la question qu’elle veut lui poser. Qu’est-ce que tu penses de moi ?.

S'ils avaient été dans un manga, Dohyun aurait été représenté avec beaucoup de sueur sur le front, les yeux fuyants avec un fond de case rempli de pensées illisibles. Mais ils étaient dans la réalité alors rien de tout ça n'était montré. En apparence, il n'était pas si stressé que ça. Il avait juste l'air un peu gêné, évitant son regard et laissant traîner un mystère sur qui était la personne à qui ses parents pensaient à chaque fois qu'ils disaient qu'il devrait se marier. Dohyun ne voulait pas blesser la princesse, il voulait la protéger et s'il n'était pas capable de protéger son bonheur, il s'en voudrait à vie. Alors il ne voulait pas de ces fiançailles, parce qu'il savait qu'il ne la rendrait pas heureuse et quelqu'un d'autre le fera pour lui. Peu importe s'il devait les regarder avec un cœur brisé, il sera heureux. Le bonheur de la princesse était plus important.

Son « justement » lui fit mal aux oreilles, parce qu'il savait qu'elle allait lui dire qu'elle allait se fiancer, que la personne choisie n'était pas lui et qu'il allait juste devoir la regarder de loin, sourire à un autre homme, rire avec cet autre homme, aimer celui-ci. Mais même s'il le fera avec un pincement de cœur, au fond Dohyun avait déjà accepté cette idée. Que Yeji se mariera avec quelqu'un d'autre et que lui passera le restant de sa vie à protéger son bonheur, quitte à blesser le sien. C'était ce qu'un garde était supposé faire, après tout. Protéger les autres au détriment de soi.

Et puis la nouvelle résonna dans son crâne. Ses muscles se mouvèrent seuls, sa tête se tournant vers la princesse alors que ses yeux s'écarquillèrent. La brise légère chuchotait dans ses oreilles et il n'entendait plus qu'elle, le train de ses pensées s'étant subitement arrêté. Ses iris ne voyaient plus que Yeji alors qu'il n'avait pas encore digéré l'information. Lui ? C'était lui ? Et ce, depuis toujours ? Dohyun la fixa du regard sans aucune expression apparente, seuls les paupières qui clignaient indiquant qu'il était encore en vie. Intérieurement, c'était la panique générale. Tout son corps s'était mis en arrêt alors qu'il essayait de trouver quelque chose à dire tout en contrôlant ses émotions. Mais il n'avait jamais été très doué à faire plusieurs choses à la fois. Il avait l'impression que son cœur brûlait autant de joie que de tristesse car il savait que Yeji n'en voulait pas, des fiançailles. Malgré tout, sa voix qui avait monté vers les aigus, son air un peu timide... Est-ce que ça ne voulait pas dire quelque chose ? Non, ça ne voulait rien dire. Dohyun refusa de se faire des films et préféra plutôt partir du principe qu'elle ne voulait pas de lui. Après tout, ça allait de soi : pourquoi est-ce qu'elle voudrait de lui ?

« Ah... » fut le seul son qui sortit de sa bouche après de longues secondes d'attente. Au lieu de la brise qui soufflait dans ses oreilles, c'était maintenant ses propres battements de cœur qui y tambourinaient. Ils étaient si forts qu'il avait peur que Yeji puisse les entendre. Comme si détourner le regard allait faire quoi que ce soit pour diminuer ses battements de cœur, il laissa traîner son regard ailleurs, n'importe où sauf sur elle. « Moi aussi, » souffla t-il de la même manière qu'on dirait ces mots pour répondre à une confession d'amour. « Mes parents pensent la même chose pour toi. » Et il n'osa même pas la regarder, de peur de voir la déception qu'il redoutait le plus. Il laissa traîner quelques secondes de silence, entendant toujours aussi bien son cœur tandis qu'il se mordit la lèvre. « Désolé, » répondit-il de la même manière qu'on dirait ces mots pour répondre à une confession d'amour. Il était désolé que ce soit lui.

Les choses auraient sans doute été infiniment plus simples si elle n’avait pas été une princesse et s’il n’avait pas été un garde du corps. Dans ses rêves les plus fous, Yeji s’imagine vivre une vie normale. Celle d’une femme de vingt ans libre de sortir et de fréquenter qui il veut. Libre d’exprimer ses sentiments ouvertement, sans limite. Elle s’imagine Do Hyun comme un ami d’enfance avant d’être un ancien noble et garde du corps. Alors, elle se dit qu’elle aurait pu flirter avec lui librement, déclarer ses sentiments plus rapidement, ne pas avoir à s’imaginer l’épouser avant de se déclarer. Dans ses rêves les plus fous, elle perdait sa couronne.

Ah Le son résonne violemment. Une simple onomatopée : elle aurait espéré mieux comme réponse. Quelque chose de plus expressif, auquel elle puisse raccrocher des espoirs. Et puis, ne devrait-il pas être honoré de pouvoir se fiancer à la princesse ?! Après tout, c’est le rêve de milliers d’hommes coréens ! Pourquoi est-ce que l’homme qu’elle aimait ne rêve t-il pas de ça ? Est-ce qu’elle est frappée d’une malédiction ? L’air désabusé et nerveux, elle regarde fixement Do Hyun éviter son regard. Se rend-il au moins compte qu’il donne tous les signaux d’une personne qui veut éviter à tout prix les fiançailles avec elle ? S’aperçoit-il d’à quel point son comportement est insultant ?

Tellement blessée par l’attitude du garde du corps, elle n’est même pas enchantée d’entendre que la famille de Do Hyun veut le fiancer à elle aussi. Le désolé est un réel couteau dans le coeur. « Désolé ? » répète t-elle d’un air incrédule. C’est pire que ce qu’elle avait imaginé. « Désolé de quoi ? » Elle saute sans doute trop vite aux conclusions mais c’est très typique de son caractère : impulsive. C’est évidemment un trait plus accentué quand cela concerne l’homme qu’elle aime depuis toujours. « Désolé de ne pas vouloir m’épouser ? » Le formuler elle-même lui brise le coeur mais sa voix ne le montre pas – on y décèle au contraire une colère marquée.

Elle n’est peut-être pas la femme parfaite, elle veut bien l’entendre, mais au point de réagir de cette façon ? Elle avait quand même osé imaginer que l’idée d’un mariage avec elle n’était pas aussi insupportable. Maintenant, elle a la sensation que sa demande en mariage a été refusé – alors qu’elle n’a demandé en mariage personne ! Se redressant, elle fusille du regard Do Hyun. « Je n’y peux rien si nos familles sont d’accord sur ça ! » s’exclame t-elle, comme si elle avait à se justifier. « Je n’ai rien demandé moi non plus ; je n’ai pas demandé à ce qu’ils s’intéressent à toi, je n’ai pas demandé à ce qu’ils me demandent comment les choses avancent avec toi et je n’ai pas demandé à être une princesse ! » Sa voix se fait de plus en plus forte mais elle sait que ce qu’elle dit ne doit pas être entendu, alors elle essaie de se faire discrète quand même. « Je n’aurai pas dû en parler » affirme t-elle amèrement, lâchant pour la première fois le jeune homme du regard. « Ne t’en fais pas, je leur dirai une bonne fois pour toute que le fils des Ri ne songe pas à m’épouser une seule seconde et qu’ils me fichent la paix avec ça, de sorte à ce que tes parents ne t’en parlent plus non plus. » Ce n’est pas comme si elle avait vraiment dit à qui que ce soit qu’elle adorerait vivre son futur aux côtés de Do Hyun.

Désolé que ce soit moi, aurait-il peut-être dû dire, mais Dohyun n'avait jamais été doué pour se faire comprendre des autres. Les gens avaient trop l'habitude de mal le comprendre et Dohyun le savait. Il en avait aussi pris l'habitude avec le temps, qu'on peine à comprendre ce qui se cachait dans son cœur et il faisait exprès. Un peu étrange comme comportement mais le garçon ne cherchait absolument pas à le corriger parce qu'il savait que c'était lui. Toutefois, si d'ordinaire il ne regrettait pas vraiment de ne pas s'être fait comprendre des autres parce que justement, il n'en avait pas grand chose à faire de leurs avis (« si tu ne m'aimes pas va t'en, j'ai pas besoin de toi », ce genre de pensées), Yeji n'était pas comme les autres et il se préoccupait de ce qu'elle pensait de lui. Dohyun avait failli ouvrir la bouche pour lui répondre que non, il voulait l'épouser et qu'il serait tellement heureux de le faire mais son côté réfléchi lui mit un stop. Non, il ne pouvait pas dire ça. Ça allait la mettre mal à l'aise, elle qui était aussi forcée d'envisager de l'épouser. Elle qui le voyait comme un ami d'enfance, il ne pouvait pas lui dire ça. Surtout que se marier engendrait de grandes conséquences et que Dohyun n'était pas prêt à y faire face. S'il devait perdre le bonheur de Yeji juste pour que lui soit heureux, évidemment qu'il ne le fera pas. Le bonheur de la princesse comptait plus que tout.

Il déglutit, comprenant bien dans ses paroles qu'elle ne l'aimait pas mais qu'elle était forcée à le voir sous un autre angle qu'un ami et que ça ne lui plaisait pas non plus. Oui, évidemment, bien sûr que c'était le cas mais l'entendre le dire de sa propre bouche lui enfonçait le couteau dans le cœur. Il serra le poing, ne la regardant toujours pas même après le silence qui s'était installé entre eux après que Yeji ait levé la voix. Elle était blessée et Dohyun ne supportait pas de la voir triste. Malgré tout il ne pouvait pas se résoudre à lui dire que c'était tout le contraire, qu'il songeait à l'épouser mais qu'il y avait encore trop de choses qui lui mettaient un stop. Le fait que son amour ne soit pas réciproque représentait la grande majorité de ces choses-là. « C'est pas ce que je voulais dire, » finit-il par dire tout de même parce qu'il ne pouvait pas changer de sujet comme ça (ce serait insensible de sa part et même s'il pouvait l'être, ce n'était pas le cas avec Yeji). « Je veux dire... » Dohyun souffla. Si le garçon se faisait aussi mal comprendre des autres, c'était surtout parce qu'il n'assumait vraiment pas ses sentiments ni ses secrets. Il était plus du type à prendre le chemin le plus long possible pour dévoiler quelque chose sur lui, alors qu'il prenait le plus court si ça concernait les autres. C'était ce côté contradictoire qui faisait penser aux autres qu'il était trop franc alors qu'en réalité, il était juste extrêmement malhonnête sur ses propres ressentis. « Je... suis désolé ce que ce soit moi. La personne que tes parents ont choisi. Il existe mieux que moi. Des gens que tu aimeras, surtout. Romantiquement, je veux dire. Tu m'aimes bien mais amicalement. Tu vois. Parce qu'on... qu'on est amis. Et... personne... n'aimerait épouser un ami pour la vie. » Il déglutit de nouveau, osant enfin la regarder pour savoir quel genre d'expression elle faisait. Il s'était peut-être enfoncé, maintenant qu'il pensait aux mots qu'il avait dit. Parce que là, n'était-il pas en train d'insinuer qu'il ne l'aimait qu'en tant qu'amie ? Mais en même temps pour Yeji, c'était la vérité. Dohyun et Yeji étaient amis. Il n'y avait que Dohyun qui savait qu'il ressentait plus. Et être malhonnête sur ses sentiments, c'était son truc.

Yeji n’est pas tout le temps aussi sensible. En temps normal, elle sait garder son sang froid. Des années d’expérience lui permettent de ne pas montrer ses sentiments, de garder étouffé en elle ce qui n’est pas assez gracieux pour être montré. Elle sait faire Yeji, elle n’a pas d’autre choix que de savoir faire et pourtant quand elle entend ces mots sortir de la bouche de son garde du corps, elle n’arrive pas à faire semblant qu’elle est totalement d’accord avec l’idée d’entendre des excuses de sa part. Elle ne se demande même pas si c’est distingué ou non de sa part d’ainsi extérioriser ses sentiments, elle vérifie à peine s’ils sont toujours seuls dans le coin du palais. Les mots sortent tout seul, signe que ça l’a vraiment touché, trop pour qu’elle passe ça avec un sourire. Elle se méprend immédiatement parce qu’elle ne comprend pas, n’a jamais compris, pourquoi les gens ne sont pas plus honnêtes avec eux-mêmes. Pourquoi ils ne disent pas je t’aime quand ils aiment et pourquoi ils ne disent pas non quand ils ne veulent pas – sans se rendre compte que c’est ce qu’elle fait elle-même, prétendant qu’elle n’a pas l’intention de marier celui que sa famille a choisi juste pour ne pas aller dans leur sens. Un comportement contradictoire qui prouve qu’elle ne sait pas gérer ses sentiments, on lui a appris beaucoup de chose mais pas à aimer.

Prise dans son propre tourbillon de sentiment – la colère, la tristesse et l’amertume – elle est prête à partir s’enfermer dans sa chambre juste au moment où il reprend la parole. Elle peine à le regarder de nouveau, comme si la peur qu’il dise encore quelque chose qu’elle ne veut pas entendre se faisait plus forte que la curiosité de savoir ce qu’il voulait dire. Si c’est quelque chose de plus cruel encore, elle préfère ne pas l’entendre. Mais elle lui lance une chance quand même, parce qu’ils sont trop proches pour juste se quitter sur un tel échange, parce qu’elle tient trop à lui pour juste s’en aller et le laisser tel quel. Difficile de dire si les mots du garde du corps la calment ou la mettent encore plus en colère, mais au moins, ça n’a pas l’air d’être contre elle précisément. Plutôt contre lui, en fait, et ce n’est pas quelque chose qu’elle apprécie non plus. « Je ne vois pas du tout où tu veux en venir » Voix bien plus calme, regard sincère, elle ne voit pas ce qu’il veut dire, pour elle c’est un charabia insensé, comme s’il répondait à côté de la plaque. « Je n’ai pas engagé ce sujet pour que tu me dises ce que je ressens – ou suis supposée ressentir – envers toi. » Parce que c’est ce qu’il fait, il ne parle pas de lui, il parle d’elle, comme si le sujet de la conversation, c’étaient ses ressentis à elle. « Je sais quand même mieux que toi ce que je veux ou non, je ne t’ai pas demandé de me dire ce que tu penses  de mes ressentis » Mais ce n’est pas avec colère qu’elle dit ça, parce que son exprime toujours qu’elle ne comprend pas, la discussion a pris un tout autre tournant rapidement. « Enfin, Do Hyun, tu es plus vif d’esprit d’habitude »  Rares moments où son prénom remplace l’éternel oppa par lequel elle l’appelle. « J’ai engagé ce sujet pour savoir ton point de vue dessus, pas le mien. » Elle reformule ce qu’elle a mal dit avant pour que le sujet soit posé, façon indirecte de lui demander : qu’est-ce que tu penses de m’épouser alors même qu’elle ne s’est jamais déclarée. Elle a toujours aussi peur de la réponse mais elle a décidé de ressaisir car oui, après tout, il s’agit de savoir ce qu’il en pense. Ils ne peuvent plus éviter le sujet, leurs familles continueront à leur mettre la pression et finiront par les fiancer sans leur accord s’il le faut ; il vaut mieux qu’ils engagent le sujet avant, qu’ils soient honnêtes envers l’autre et, avant tout, envers eux-mêmes.  

Dohyun tentait de fermer les failles de son cœur du mieux qu'il pouvait. Collant des feuilles de papier frêles sur ses trous, recollant les morceaux déchirés avec du ruban mal adhésif, serrant le tout avec des cordes fragiles, il tirait les rennes de ses sentiments avec une telle conviction qui aurait pu être comparable à celle qu'il ressentait envers son métier. Ses sentiments n'avaient jamais été quelque chose qu'il aurait envisagé pouvoir exposer au monde entier, tout simplement parce que le faire blesserait forcément Yeji. Yeji qui ne l'aimait pas en retour, Yeji qui serait forcée à le marier, Yeji qui finirait malheureuse. Et le malheur, ce n'était pas quelque chose qu'il voulait voir sur ses traits. Lui, il voulait la voir heureuse, il voulait la rendre heureuse mais il savait que ce n'était pas son rôle. Son rôle, c'était de la protéger et de protéger son bonheur. Pas d'être son bonheur.

Mais le feu brûlant qu'était Yeji enflamma les feuilles, enflamma le ruban adhésif et enflamma les cordes. Yeji, avec ces mots, s'approchait trop près de lui, de son cœur, et les rennes qu'il se forçait de contrôler perdaient soudainement leur maître. Les sentiments explosèrent, son cœur craqua encore un peu plus, montrant d'autres failles que Dohyun devrait réparer. Des failles qu'il aurait réparé s'il avait été quelqu'un de très réfléchi et responsable. Sauf que le garçon n'était pas comme ça : il était amoureux de Yeji avant d'être un garde et c'était bien connu que l'amour n'obéissait à aucune règle. Il avait beau être un garde, il n'arrivait pas à garder ses propres sentiments quand la princesse lui demandait avec tant de diplomatie son point de vue sur le sujet. D'autres failles craquèrent alors qu'il soutint son regard. Elle avait raison, Dohyun était plus vif d'habitude. Dohyun ne réfléchissait pas autant d'habitude. Dohyun se laissait complètement aller d'habitude. Sauf que là, ça concernait les sentiments de Yeji et il ne pouvait pas faire autre chose que d'y réfléchir, même si ça semblait contredire son caractère entier. Mais tout comme l'alcool qu'elle avait été lorsqu'il était tombé amoureux d'elle, il se sentait repartir dans un autre monde en la fixant. Ses pensées arrêtèrent leur train, les rouages de son cerveau ralentirent et il ne ressentait plus rien à d'autre à part Yeji. Le feu qui était en train de le brûler tout entier, de brûler toutes ses barrières.

Et puis si je lui disais, au pire qu'est-ce qu'il arrivera ?

Elle semblait vouloir savoir son avis et Dohyun ne pouvait pas lui en vouloir, parce que lui-même voulait toujours tout savoir sur les autres. C'était justement parce qu'il était faible face aux envies de la princesse que son inconscient avait fait arrêter ses pensées, l'avait calmé et lui avait fait réaliser leur situation. Même si elle savait qu'il l'aimait, rien ne changera. Leur relation allait au-delà de l'amour, le garçon en était convaincu. Il pourra continuer de la protéger quand bien même elle savait qu'il l'aimait. Yeji ne serait de toute façon pas du genre à mentir sur ses propres sentiments pour lui faire plaisir. Elle lui répondra clairement ce qu'elle ressentait. Toutefois il n'était pas nécessaire de penser à elle : ce n'était pas à ses sentiments de se montrer, mais aux sentiments du jeune homme. A ses sentiments envers la princesse, qui s'étaient déclarés quatre ans plus tôt.

Subitement déterminé, ouvrir la bouche lui avait fait comprendre à quel point sa gorge était sèche. Quand bien même il voulait bien lui dire tout ce qu'il avait sur le cœur, c'était la première fois depuis des années qu'il s'était montré si vulnérable, que son cœur était enfin à l'air libre. Il se sentait nu devant le monde entier, dévoilant toutes ses faiblesses. Yeji était sa faiblesse. Mais il ne reculera pas. Parce que ce ne serait pas Dohyun s'il reculait après avoir pris une décision. Dohyun ne réfléchissait pas aussi longtemps à ses mots, Dohyun disait et réfléchissait après, Dohyun parlait trop pour rien dire. Ce n'était pas étonnant que pour exprimer ses sentiments, ça allait être pareil.

« Mon ressenti ? » Son cœur battit plus vite dans sa cage thoracique, des papillons feraient presque leur apparition dans son estomac. Il savait qu'après cette question, il ne sera plus jamais capable d'avoir la même relation avec elle. Mais il s'en fichait. Elle devait savoir. Elle devait savoir à quel point elle le rendait trop faible, à quel point le feu qu'elle était était en train de brûler sa peau et que s'il ne le lui faisait pas comprendre, elle risquait de brûler son cœur avec. « Mon ressenti, c'est que je veux bien t'épouser. Non, c'est pas ça. Je veux t'épouser. C'est pour ça que je te demande ton ressenti. Parce que le mien n'est pas important. Peu importe ta réponse, il ne changera jamais. Comme ma vie pour la tienne, c'est la tienne qui est prioritaire sur la mienne, puisque le but de la mienne est de te protéger. Mes sentiments non plus ne changeront pas et je ne cesserai de vouloir t'épouser. Sauf que je ne peux pas t'épouser si tu ne le veux pas non plus. Je ne veux pas t'épouser si tu ne le veux pas. Je ne veux pas te forcer à un mariage forcé et je ne te forcerai jamais. » Il se sentait rougir alors qu'il avait noyé ses sentiments dans trop de mots. « Yeji, où je veux en venir, c'est que... » Il prit une grande inspiration comme si le prochain son qui sortira de sa gorge serait le son de ses battements de cœur. « Je t'aime tellement que ça me va, si tu maries quelqu'un d'autre. Tant que tu es heureuse. Te voir heureuse est le plus important à mes yeux, beaucoup plus que t'épouser. » Il se mordit la lèvre, avait l'impression d'offrir son cœur en offrande à la princesse. Mais c'était vrai, son cœur était à la princesse. Il lui appartenait et elle avait le droit de faire ce qu'elle voulait avec. « Alors, Yeji... Est-ce que m'épouser te rendrait heureuse ? » Est-ce que tu veux bien m'épouser ? revenait au même, mais c'était trop direct. Dohyun sentait déjà l'embarras rougir ses joues alors qu'il n'était pas quelqu'un qui ressentait ce sentiment, d'ordinaire. Mais Yeji le rendait différent et c'était ce qu'il était en train de lui montrer. Qu'elle avait empoisonné son cerveau et qu'il voulait bien rester empoisonné toute sa vie. Il ne voulait plus d'antidote ; il la voulait elle.

Le regard fixé vers celui de Do Hyun, malgré les années passées à ses côtés, elle n’a aucune idée des pensées qui peuvent traverser son esprit. Il l’observe sans faille, sans un mot, son regard brille d’une lueur qu’elle n’a jamais remarqué jusqu’alors. L’air extérieur continue de souffler et de la faire frissonner et pendant ces longues dizaines de secondes de silence où ils s’observent sans rien dire, la flamme de la colère qui s’est soudainement embrasée peu de temps avant se tasse par elle-même. Le changement d’ambiance se fait soudain et la prend au dépourvu. Pourtant c’est elle qui a utilisé le talent de diplomate qu’on lui a imposé à un jeune âge pour calmer la situation qu’elle avait elle-même enflammée juste avant. C’est elle qui l’a invité à une honnêteté qu’ils ne se sont jamais permise de part leur statut. C’est elle qui a installé cette ambiance mais elle ne s’en aperçoit que face à l’hésitation du garde du corps. Le silence entre eux est très peu habituel. Do Hyun est bavard, Yeji est impulsive. Les moments ensemble sont souvent noyés par les mots, rarement habités par le silence, encore moins par l’hésitation.

Face à l’insistance du regard du jeune homme, elle a presque envie de baisser ses yeux. Elle se rappelle de toutes les fois où on l’a reprise à l’ordre : baisse ton regard, c’est indécent de fixer les yeux de quelqu’un aussi longtemps. Elle n’a jamais compris pourquoi c’était déstabilisant qu’elle les regarde dans les yeux, si ce n’est pas ça qu’elle peut regarder, alors vers où tourner son regard ? Jamais un regard l’a autant fait se remettre en question sur ses opinions que celui de Do Hyun, et jamais le regard de Do Hyun ne l’a autant impressionnée que dans l’immédiat. Pas même quand il est en colère, pas même quand il est sérieux.

Normalement, elle aurait pris la parole pour relancer la discussion à base d’un alors ?. Si elle ne dit rien, là, c’est parce qu’elle ne trouve rien à dire. Son souffle se fait court parce que le changement d’ambiance fait battre son coeur plus vite et l’étouffe, parce que le regard de Do Hyun est plongé dans le sien depuis trop longtemps, parce que le sujet de discussion ne lui est pas familier.

Puis le silence est rompu par une voix tremblante qu’elle ne reconnaît pas. Jamais elle ne l’a entendu parler comme ça. D’ailleurs elle n’a pas le souvenir que Do Hyun ait jamais parlé de ses ressentis. Et quelles sont ces rougeurs qui font son apparition sur les pâles joues du garde tandis qu’il noie sa déclaration dans une flottée de mots ? Elle écoute à peine ce qu’il dit, elle est trop hypnotisée par ses yeux soudainement fuyants, par son teint de peau, par le timbre de sa voix. Elle n’a pas besoin d’entendre le contenu pour comprendre de quoi il s’agit. Elle n’a pas besoin d’avoir déjà vécu cette situation pour la comprendre. Elle avait l’impression que les mots du jeune homme prenaient la forme d’une corde qui l’étouffait. Son souffle est coupé mais son coeur bat plus vite que jamais. Jamais elle n’a espéré entendre de tels mots, jamais elle ne s’est imaginée cette situation. En fait elle ne s’est jamais demandée comment se passait une déclaration.

Le silence reprend sa place dans la discussion. Elle ne sait pas quoi répondre. Elle ne s'est jamais dit que les nuits qu’elle passait à s’imaginer dans un futur lointain aux côtés de Do Hyun, il les passait à s’imaginer la princesse épouser quelqu’un d’autre que lui. « Tu te rends compte que tu me demandes en mariage quelques secondes à peine après t’être déclaré ? » Voix cassée et essoufflée qui lui ressemblent si peu, témoin des trop longues secondes passées sans respirer. Malgré le sérieux de la situation, elle ne peut s’empêcher de relever combien tout se fait à l’envers dans leur relation. Ça lui permet aussi de gagner quelques secondes pour se ressaisir et être en capacité de répondre quelque chose. « Je ne me suis jamais demandée si t’épouser me rendrait heureuse ou non. Quand j’étais une enfant, je me sentais heureuse quand tu jouais avec moi, j’aimais jouer le rôle de la maman quand tu jouais le rôle du papa, j’aimais quand tu me serrais dans tes bras comme si j’étais la chose plus précieuse que tu n’aies jamais vu. Quand j’étais une adolescente, je me sentais heureuse quand je pouvais te voir entre deux écrasantes obligations d’une princesse, toute l’oppression de mon éducation me paraissait supportable durant les instants où ton regard se posait sur le mien, j’aimais ta façon de m’inquiéter pour mon bonheur plus que pour mon image de princesse. Quand j’ai eu vingt ans, j’étais heureuse de t’avoir enfin rejoint dans l’âge adulte. Je ne me suis jamais dit : je serais si heureuse si je l’épousais. Mais à chaque fois que je suis avec toi, je me dis : je serais si heureuse s’il pouvait me regarder comme ça pour toujours. » Elle reprend une respiration, son souffle est toujours aussi court, mais sa voix est plus posée, comme si elle racontait l’histoire de quelqu’un d’autre. Elle voulait transmettre ses sentiments du mieux que possible, elle ne voulait pas omettre un seul des détails, elle voulait lui faire comprendre qu’il est le seul garçon à n’avoir jamais brillé dans ses yeux. « Alors je ne peux pas répondre à ta question. Je ne sais pas ce que ça veut dire épouser un garçon. Mais si ça veut dire que je peux rester avec toi pour l’éternité, si ça veut dire que je peux t’aimer sans avoir à le cacher, si ça veut dire que tu peux passer tes nuits à rêver du lendemain à mes côtés plutôt qu’à cauchemarder du moment où je serai aux côtés d’un autre, alors oui, ça me rend heureuse. » Elle a l’impression de se dévoiler mais elle n’en est pas gênée une seule seconde. Dire ce qu’elle ressent est beaucoup plus confortable que devoir prétendre autre chose. Alors révéler qu’elle l’a toujours aimé, ça ne l’embarrasse pas plus que ça. Ça l’embarrasse beaucoup moins que de réaliser que ce sentiment est réciproque.  

Dohyun n'avait jamais eu le temps de regarder des séries romantiques. Du peu qu'il avait vu durant toute sa vie, il les trouvait dénuées de sens. Ennuyeuses. Il ne s'était jamais vraiment attaché à l'idée de l'amour car tout ce que l'amour lui évoquait, c'était son métier. Même en tant qu'adolescent, lorsque les autres garçons étaient occupés à aimer les filles, lui aimait déjà sa future profession. Il avait les yeux rivés sur le futur, les pupilles brillant d'excitation. Il déroulait devant lui sa vie comme un tapis rouge qui accueillerait une star. Et la star, c'était lui. Garde du corps avait toujours été un métier qui l'avait fait rêver car justement, c'était ce que ses parents lui avaient dit de faire depuis petits. Son père était lui-même un garde du corps et ça ne lui avait que donné plus envie d'en devenir un. Surtout pour protéger la petite Yeji pour qui il s'était attaché, comme une petite sœur qu'il voulait défendre, à défaut de pouvoir le faire physiquement pour sa propre petite sœur. Sauf que cette petite sœur avait grandi et elle n'en était plus une, désormais. Elle était devenue une héroïne de ces séries romantiques tandis que lui était resté un spectateur. Il s'était résolu à accepter qu'elle épouserait quelqu'un d'autre que lui, qu'elle ne le choisira jamais comme époux car justement, elle devait toujours le voir comme ce oppa avec qui elle avait grandi sans ressentir la moindre affection romantique.

Malgré tout, il avait choisi de lui dire ce qu'il ressentait. Peut-être était-ce sous le coup de l'impulsion, certes. Dohyun était impulsif. Mais ce qui en faisait une qualité, c'était qu'il ne regrettait jamais ce qu'il avait fait. Et là, même s'il était embarrassé, les yeux fuyants, les joues rouges, le cœur battant trop vite, il savait qu'il ne regretterait jamais de lui avoir dit. C'était une vérité qui avait eu besoin de sortir et une vérité qui restera éternelle. Cela ne changera jamais. Il l'aimera toujours, peu importe ses sentiments à elle. Et il aurait bien ri de ce qu'elle avait dit, s'il ne se sentait pas aussi paniqué, s'il ne sentait pas que l'atmosphère ne se prêtait pas du tout au rire. Plus tard, il rira sûrement. Il rira sûrement de la façon dont il avait formulé ses mots. Trop maladroitement. Il avait sûrement eu l'air ridicule. A la demander en épouse alors qu'ils ne sortaient même pas ensemble. Ils brûlaient les étapes. Mais Dohyun ne regrettait pas. Il ne regrettera pas. Parce que c'était vrai : il voulait l'épouser.

Ç’aurait été bien, si le temps s'était arrêté ici. Si le garçon avait pu mettre en pause son feuilleton favori et respirer un bon coup, se préparer à la réponse de Yeji. Mais la vie n'attendait pas qu'il soit prêt et la voix de la princesse résonnait déjà dans son crâne, les sons et les échos se répercutant partout à l'intérieur, prenant soin de ne jamais en disparaître. Quand il s'amusait à imaginer le futur, il n'avait jamais osé imaginer Yeji avec lui. Il l'avait toujours imaginée à côté d'un autre homme. Et il s'était toujours imaginé heureux, content pour elle, pas si jaloux que ça. Il s'était déjà fait à l'idée qu'il ne l'épousera pas. Mais voilà qu'on lui présentait l'idée que c'était possible ; que Yeji l'aimait aussi. Il se souvenait de la petite princesse qu'il aimait chouchouter, qu'il voyait comme la personne la plus précieuse dans sa vie. Il se souvenait de la princesse adolescente qu'il rencontrait de temps en temps hors du palais, pour qui il se faisait un sang d'encre tous les soirs quand bien même il savait qu'elle faisait attention. Mais il ne s'était jamais souvenu qu'elle l'avait aimé depuis toujours. Quand est-ce que ça avait commencé ? Quand est-ce que son amour innocent de petite fille s'était transformé en amour romantique ? Dohyun l'ignorait et même s'il refaisait tout le film de sa vie, il serait incapable de trouver la réponse. Lui, tout ce dont il se souvenait, c'était ce soir-là, la nuit où il l'avait surpris en tant que Minseo, la nuit où il était tombé amoureux. Les yeux dans les siens, il n'osait pas regarder ailleurs, comme si regarder ailleurs briserait ce rêve et le ferait atterrir sur Terre. Comme si tout ce qu'il entendait résonner dans son crâne n'était pas la réalité, mais un stupide rêve. Il se serait peut-être pincé la peau si la situation n'était pas si sérieuse et s'il ne se sentait pas rougir encore plus, parce que c'était enfin en train de le percuter.

Elle était en train de lui dire qu'elle voulait bien de lui.

Un coup d'air frais sur son visage, le vent qui soufflait d'un coup un peu plus fort (son imagination ou la réalité ?), il se sentait devenir plus léger. Le sourire vint juste après, puis un rire, un rire de fou. Peut-être est-ce qu'il avait l'air d'un idiot, à rigoler comme ça à gorge déployée. Pas très courtois, lui auraient dit ses parents, mais là il n'en avait strictement rien à faire. Tous ses rêves où il imaginait Yeji au bras d'un autre homme, il pouvait désormais s'y imaginer. Il pouvait intégrer cette stupide série romantique, devenir le héros de son histoire et devenir son prince. Il n'avait plus besoin de réprimer tous ses sentiments, il pouvait les exposer à la Terre entière. Les bandages maladroits sur son cœur avaient disparu, il était à nu, montrait qu'il était en train de battre fort. Il finit par sourire après ses rires incessants, d'un air si doux que ça aurait fait craquer n'importe quelle personne pour lui s'ils ne l'avaient pas déjà fait.

« Je crois que je vais bien rêver cette nuit alors, » souffla t-il comme la brise légère qui caressait leurs joues. Il sourit, toujours un peu timide parce qu'il n'était jamais sorti avec personne avant et qu'il ne savait même pas qu'est-ce qu'on devait faire une fois qu'on était en couple. Et maintenant ? se demandait-il, perdu. Est-ce que les héros des séries romantiques se posaient aussi ce genre de questions ? Ce serait ridicule s'ils le faisaient. Marrant, quand même. Il eut un rire en y pensant. Repensa à sa propre vie qui n'avait rien à voir avec celle d'un héros de série romantique. « Tu sais comment je suis tombé amoureux de toi ? » demanda t-il, regardant Yeji avec un petit sourire taquin. L'éternel sourire taquin. « Quand je t'ai vue pour la première fois en Minseo. Tu brillais tellement dans mes yeux que j'ai cru que j'étais devenu aveugle. C'est stupide à dire comme ça, mais... C'est comme ça que je l'ai ressenti. Je crois que je ne t'ai jamais trouvé plus belle. » Les coins de ses lèvres levés vers le haut, son regard restait sur elle. Peut-être qu'aujourd'hui marque un jour où je te trouve encore plus belle.

Dos droit, yeux levés vers lui qui ne fuient jamais, même au moment où elle dévoile tous ses sentiments, ceux qu’elle a enfouis en attendant le bon jour pour les dire. L’aura d’une princesse, fière, droite, solennelle Yeji, sans s’en rendre compte, joue à perfection le rôle qu’elle a toujours refusé. Une part d’elle-même qui ne ressort que dans deux occasions : les moments très sérieux et ceux devant les caméras. Contrairement à Dohyun qui affiche un visage trahissant chacun de ses sentiments – la joie, l’embarras, la timidité – celui de Yeji reste presque trop neutre. Seuls ses yeux semblent exprimer combien elle est heureuse, et ce sourire, ce léger sourire un peu timide. Puis finalement, la discussion semble se calmer, devenir moins sérieuse, changer de note et elle se met à rire un peu. « Tant mieux si tu rêves bien, alors » répond-elle avec un ton un peu moqueur, l’embarras commençant à faire son chemin à travers elle. Elle réalise que quelque chose à changer dans leur relation – que là, partir de cet instant précis, ils ne sont plus amis mais amants – et elle se retrouve démunie face à cette situation. On ne lui a jamais enseigné ce que faisaient les couples, on ne lui a jamais appris comment les gens se mettaient en couple. Elle ne sait pas ce qui vient après la déclaration, alors elle se contente de le regarder dans les yeux et de sourire quand il dévoile le moment où il est tombé amoureux d’elle. Bien après elle, elle qui n’a jamais vu Dohyun autrement que comme un homme, mais ça lui importe peu. Elle le dévisage quelques secondes, essayant de ne pas trahir à quel point son coeur bat vite – un vieux réflexe acquis avec les années, celui de dissimuler ses sentiments, même une fois dévoilés.

Alors le silence retombe. Elle ne sait pas quoi lui répondre. Merci ne sonnerait pas correct. D’accord est trop distant. Le silence est pesant, anormal, elle sent qu’ils réfléchissent tous les deux à ce qui doit venir maintenant, situation peu naturelle entre eux. Puis finalement, Yeji décide de se réveiller. « Ça veut dire que tu me préfères avec les cheveux blonds ? » La question résonne avec une voix un peu moqueuse, elle détourne ses propos pour en rire, pour fuir le malaise qui s’installe avec la gêne. « Quel dommage que les couleurs trop voyantes soient interdites, je suis sûre que ça ressortirait mieux qu’une simple perruque » Elle parle comme ils ont toujours parlé, mais quelque chose dans son regard à changer. Même si elle n’arrive pas encore à le montrer et à le réaliser, au fond d’elle elle le sait : elle n’a plus besoin de faire semblant de ne le voir que comme un ami, elle n’a plus besoin de cacher combien son coeur bat quand il la regarde comme ça, elle n’a plus besoin d’arrêter de le fixer au bout d’un certain laps de temps. « J’espère quand même que ma couleur naturelle ne te déplaît pas » surenchérit-elle sans jamais perdre son sourire. En fait, elle continue de parler parce qu’elle ne veut pas que le silence retombe, mais elle aimerait aller vers lui. Contre lui. Prendre sa main. Ou le prendre lui dans ses bras. Elle aimerait faire ces choses qu’elle ne pouvait pas ; parce qu’ils n’étaient qu’amis. Mais comment franchir cette limite qu’ils se sont toujours donnée ?

Dohyun n'était jamais mal à l'aise. C'était toujours la personne qui mettait mal à l'aise les autres, le type qu'on jugeait parce qu'il était trop étrange, le garçon qui ne semblait pas ressentir l'embarras. Et le garde l'admettait, il ne ressentait que rarement la gêne. Il n'était pas vraiment gêné par les situations que tout le monde trouverait gênantes, il serait plus du type à éclater de rire ou à s'en moquer complètement, haussant des épaules comme si ça lui importait peu. Sauf que tout ça s'effritait lorsque ça le concernait lui. Lorsque ça concernait ses sentiments. Ayant du mal à s'ouvrir et à placer des mots sur ce qu'il ressentait, il prenait toujours le plus grand détour dès lorsqu'il s'agissait d'exprimer son affection. Mais il avait rarement besoin de le faire, peu de situations demandant qu'il s'exprime sur son ressenti, après tout. Sauf que lorsqu'il s'agissait de se déclarer, évidemment qu'il n'avait pas le choix. Il noya son « je t'aime » dans un flot de mots, se noya lui-même dans celui de Yeji. Il se noya dans ses sentiments, se noya dans ceux de Yeji. Le cœur battant fort, lui d'ordinaire si bavard ne put répondre que par un sourire timide à la réplique de la princesse. Il aurait toujours pu trouver quelque chose à dire mais là, il n'avait juste rien à répondre. Il se sentait tellement confus, c'était la première fois qu'il se déclarait, la première fois qu'il ressentait ce genre d'émotions et la première fois qu'il pouvait se permettre de transformer ses rêves en réalité. Il se rappela de la première fois où il avait rêvé d'elle. Il la raconta, cette fois où il était tombé sous son charme. Elle qui était plus libre que jamais, Dohyun était tombé amoureux de cet oiseau qui volait si haut dans le ciel. Il était tombé amoureux de sa liberté.

S'il avait voulu effacer la tension entre eux, partir sur un autre sujet, il aurait éclaté de rire. Il aurait lancé une blague, il l'aurait regardée comme il le faisait toujours. Mais après s'être livré, il ne voulait pas faire ça. Il ne voulait pas qu'ils reviennent à ce qu'ils étaient avant. C'était vrai, Dohyun ne savait pas comment les couples devaient se comporter non plus. Il n'avait jamais su ce qui arrivait après une déclaration, ne s'y était jamais intéressé ; parce qu'il pensait que ça ne lui arriverait jamais. Mais maintenant que c'était là et qu'il devait y faire face, il était sûr d'une chose : il ne voulait pas rire comme il l'aurait fait d'habitude. Yeji était trop timide par rapport à sa elle de d'habitude et il en était aussi perturbé. Il était aussi plus sérieux que d'habitude. Cette situation entière ne leur ressemblait pas, mais ça marquait un nouveau départ dans leur relation. Une nouvelle étape. Et pour rien au monde, il ne reviendra en arrière. Il sourit doucement, les yeux ne l'ayant pas quitté une seule fois. « Évidemment qu'elle ne me déplaît pas. Je... t'aime, comme tu es. » Et voilà que le cœur se remit à battre rapidement parce qu'il venait de se livrer une nouvelle fois. Gêné, il fut obligé de rompre le contact visuel. Mais il ne regrettait pas. Il supporterait tout cet embarras parce qu'il l'aimait et parce qu'il voulait le lui montrer. Pour une fois, il voulait montrer à quelqu'un ses sentiments les plus sincères. Son regard tomba naturellement sur la main de la princesse. Cette main qu'il avait peut-être tenu quand ils étaient plus jeunes, mais ça n'avait jamais eu la même signification qu'aujourd'hui. Il avait envie de la tenir. De la prendre et de ne plus jamais la lâcher. N'y réfléchissant pas à deux fois, car réfléchir ne ressemblait pas à Dohyun, il décida sur un coup de tête de prendre cette main. Cette main qui se glissa parfaitement dans la sienne. Plus petite, plus fine. Son cœur s'emballa de nouveau. Il ne fit rien pour l'arrêter. Il aimait ça. Il leva le regard sur elle, lui sourit d'un air complice. « Je suis libre de faire ça, maintenant qu'on est un couple, non ? » Il lui demandait directement s'ils étaient un couple. Mais bien sûr qu'ils en étaient un. Ils étaient peut-être plus, même : futurs fiancés. Il soutint son regard, les papillons dans son ventre, le sang circulant trop vite dans sa peau. Si c'était ça la gêne, alors il aimait ça. Ce sentiment.

Ne sachant pas comment agir, Yeji opte finalement pour la solution la plus simple : celle de détourner le sujet, de plaisanter. Sous-entendre qu’il ne l’aime que pour ses cheveux blonds, même si elle sait que ce n’est pas vrai, juste pour en rigoler, pour détendre l’atmosphère. Cette solution ne fonctionne cependant pas vraiment puisque Dohyun répond très sérieusement une phrase qui l’embarrasse un peu. Ce n’est pas dans son habitude d’être gênée mais ce n’est pas non plus dans son habitude d’entendre Dohyun lui dire ce genre de choses. « Oh. Je sais… je… plaisantais. » Sa phrase s’étouffe dans un murmure, elle se sent bête d’avoir plaisanté sur quelque chose de visiblement sérieux. Elle disait ça vraiment juste pour rire, elle ne s’entendait pas du tout à ce qu’il confesse une nouvelle fois son amour pour elle. Ses joues chaudes, son coeur battant, elle fuit le regard du jeune homme et le silence retombe.

Elle ne sait plus quoi dire. Elle ne peut plus détourner le sujet pour plaisanter. L’ambiance est tellement particulière qu’elle n’arrive pas à s’adapter, à parler de tout et de rien comme d’habitude. Elle regarde de nouveau le garde du corps et ils s’observent le blanc des yeux pendant un long moment, sans rien dire, l’air aussi gêné l’un que l’autre. Que font les gens, une fois en couple ? Elle s’en veut de ne pas s’être renseignée. Si elle avait ne serait-ce qu’un indice, elle agirait pour casser cet instant embarrassant. Mais comme elle ne sait pas du tout, elle est obligée de garder le silence, comme une imbécile. Alors qu’elle se reproche intérieurement la situation, elle sent sa main froide être saisie par la main chaude de Dohyun. Son coeur loupe un battement, en partie aussi à cause de la surprise, et elle l’observe sans rien dire jusqu’à ce qu’il prenne la parole. Sa question ressemble tellement à celle que poserait quelqu’un qui a peur de se faire gronder qu’elle ne peut pas s’empêcher de rire, éclat de rire qui brise l’instant embarrassant dans lequel ils étaient bloqués jusqu’à là, elle soulage toute sa gêne précédente dans un rire qui ne s’arrête plus. Au bout d’un long moment, elle arrive à reprendre son souffle et elle sert en retour la main de Dohyun. « Bien sûr que tu as le droit, ce n’est pas comme si je te l’aurais interdit même avant » souligne t-elle entre deux éclats de rire. La situation était tellement ridicule et absurde, elle ne pouvait pas s’empêcher de rire. « Il y a d’autres choses comme ça, que tu pensais ne pas avoir le droit de faire ? » demande t-elle, un sourire moqueur sur les lèvres. Parce que même avant qu’il ne se déclare, même avant qu’ils ne mettent les points sur les i, Yeji lui autorisait tout, puisqu’elle l’aimait déjà sans le dire.

Peut-être que Dohyun aurait dû continuer sur sa lancée. Rire comme il avait l'habitude de faire, plaisanter comme son lui ordinaire. S'il avait fait ça, peut-être que les choses seraient moins gênantes maintenant. Car là, dans l'immédiat, il avait juste envie de crier dans un coussin et d'étouffer sa gêne dans celui-ci, l'enfermant à l'intérieur et revenant comme si de rien n'était. Il se sentait tellement embarrassé d'avouer son amour à Yeji et pourtant, il ne le regrettait pas. Évidemment que le garde du corps ne le regrettait pas. Il ne regrettait pas souvent ses actions, bien qu'elles soient impulsives. Mais cette fois-ci, il y avait pensé, un peu. Et non, il ne voulait pas agir comme il l'aurait fait d'habitude, parce que la situation actuelle n'était pas habituelle. Ce n'était pas habituel, qu'ils n'osent pas vraiment se regarder dans les yeux, qu'ils aient les joues rouges et que leurs cœurs battent si fort. Dohyun n'entendait pas le cœur de Yeji, mais il le voyait dans ses gestes. Que son cœur à elle aussi, battait fort, très fort. Le réaliser ne faisait qu'augmenter son embarras et il avait vraiment envie de crier, mais il se retint. De toute manière, qu'il crie n'aurait rien changé, parce que ce n'était pas avec un son qu'il réduirait le rythme effréné de son cœur. Alors peut-être ne devrait-il pas chercher à le calmer, mais à l'intensifier. C'était peut-être un peu désagréable, de se sentir aussi gêné (car ce n'était pas une sensation qui lui était familière), mais c'était surtout agréable. Pour la première fois, il pouvait exprimer ce qu'il ressentait tout en sachant que c'était réciproque. Et Dohyun ne pensait pas qu'il avait été plus heureux dans sa vie que là, maintenant.

Prenant sa main, d'un geste impulsif comme ça lui ressemblait, il lui sourit. Un sourire n'était pas suffisant pour lui montrer à quel point il était heureux de pouvoir prendre sa main sans que ça ne soit jugé comme bizarre, puisque désormais, ils étaient en couple. En couple. Vraiment, en couple. Dohyun avait une nouvelle fois envie de crier dans son coussin comme une adolescente de quatorze ans qui venait de recevoir un SMS de son crush. Il se sentait vraiment comme ça. Aussi ridicule que ces héroïnes dans les dramas, qui s'extasiaient dans leurs chambres. Mais il s'en fichait, d'être ridicule. Dohyun n'avait jamais peur du ridicule. Il n'avait surtout pas peur d'aimer Yeji. Plus maintenant, en tout cas.

Un éclat de rire résonna dans ses oreilles, ce qui le fit automatiquement sourire un peu plus. Raide dingue d'elle ? Complètement. La voir sourire le rendait plus heureux. Il était vraiment fou d'elle. Il enchaîna avec un rire à sa remarque, regardant leurs deux mains liées. C'était vrai, ça n'avait été que lui qui s'était mis des barrages seul, sous prétexte qu'il ne pouvait pas être avec elle parce qu'elle ne l'aimerait pas. Ça ne lui avait jamais traversé l'esprit qu'en fait, Yeji l'aimait déjà.

Et puis, la question de la princesse fit céder un autre barrage. Tous les songes qu'il ne s'était jamais autorisé à creuser étaient désormais libres. Il y avait beaucoup de choses, trop de choses qu'il aurait aimé faire avec elle mais qu'il s'était juré de ne jamais y penser parce qu'il ne pouvait pas. Et maintenant qu'il pouvait, qu'est-ce qu'il voulait le plus faire ? Il la regarda, les pensées fouilleuses, ces dernières se mélangeant et s'intensifiant, parce qu'enfin, elles pouvaient être lâchées, elles pouvaient vivre. Il fallait peut-être commencer doucement non ? Ils s'étaient déjà tenus la main, c'était déjà tellement énorme pour lui, lui qui pensait que jamais il ne pourrait tenir sa main de cette façon. Il pourrait être heureux juste avec ça, mais Yeji lui ouvrait tellement d'horizons qu'il voulait plus. Il voulait encore plus. Son cœur battait toujours aussi fort, ne s'était jamais calmé une seule fois. Ses joues étaient toujours rouges, à croire qu'il faisait juste extrêmement chaud dans cette partie-là du jardin. Ils étaient supposément en public, mais Dohyun avait entièrement oublié le lieu dans lequel ils se trouvaient. A ses yeux, il n'y avait plus qu'elle, et ses pensées. Mais le garçon n'avait pas l'habitude de beaucoup penser, avant d'agir. Il ne réfléchissait qu'après avoir agi. Ce n'était pas dans son genre, de se demander ce qu'il voulait faire, car pour lui, ça avait toujours été une évidence. Pas besoin de placer un mot sur ses besoins, car il les savait déjà.

Alors il suivit son cœur, suivit son instinct. Il lâcha la main de Yeji pour venir lui faire un câlin, la prenant par la taille. La dernière fois qu'il lui avait fait un câlin, c'était peut-être quand ils étaient gosses, quand l'amour n'avait pas encore sonné à leur porte et que Dohyun ne voyait la princesse que comme une petite fille adorable qu'il voulait à tout prix protéger. Mais là, le câlin avait une signification différente. Ils se faisaient un câlin en tant qu'amoureux. Souriant doucement, même si Yeji ne pouvait pas le voir, il savait qu'elle le devinerait à sa voix joviale. « Ça, » répondit-il simplement, posant son menton sur son épaule. Et il ferma les yeux, leurs cœurs battant l'un contre l'autre. Ah. Maintenant, il pouvait entendre les battements de cœur de Yeji.

Et ils battaient fort, tout aussi fort que les siens.

La sensation de la main de Dohyun dans la sienne semble différente maintenant qu’ils se sont déclarés. Plus doux, plus chaud, plus agréable. Elle a toujours aimé son toucher mais la sensation s’est décuplée depuis qu’elle sait que c’est réciproque. Serrant la main de son petit-ami, elle ne peut s’empêcher de rigoler face à la situation anormale. Ca leur ressemble si peu d’hésiter autant, de ne pas savoir quoi faire ou quoi dire.
Le regard provocateur, elle lui demande s’il y a quelque chose qu’il n’a jamais osé faire jusqu’à maintenant. Elle l’observe en attendant sa réponse, elle s’attend à ce qu’il réponde oralement mais quand il lâche sa main, elle ne peut s’empêcher d’apparaître surprise. Elle s’apprête à lui demander ce qu’il lui prend - en regardant autour, peut-être que quelqu’un vient vers eux ? - mais elle sent la main de Dohyun se glisser sur sa taille et l’attirer vers lui. Ses yeux continuent de trahir sa surprise mais il ne peut plus le voir.
Puis, un sourire naît que ses lèvres tandis qu’elle passe ses mains autour de Dohyun.
« Tu es sûr ? J’ai le souvenir que tu m’as pris plusieurs fois dans tes bras, comme ça.»
Sa voix est toujours aussi taquine qu’avant mais son grand-sourire et les battements de son coeur anormalement rapides et forts montrent qu’elle est loin d’être insensible à tout ça.
« Quand j’étais petite et que je faisais un caprice, il n’y avait que la présence de mon frère ou tes bras qui pouvaient me calmer. »
Mais elle ignore si Dohyun s’en rappelle. À l’époque, elle l’aimait déjà, d’un amour innocent d’enfant, mais ça n’était pas son cas à lui.
« Alors parfois, je râlais juste pour que tu me prennes dans tes bras. Et je m’agrippais à toi si fort que tu n’osais pas me lâcher. Jusqu’à ce que je m’endorme comme ça. »
Et son sourire s’attendrit à l’évocation de ses souvenirs. Des années sont passées mais elle n’a pas tellement changé. Les bras de Dohyun ont toujours ce pouvoir soporifique et rassurant qu’à l’époque.

Les yeux fermés, Dohyun se souvenait avec nostalgie de ses temps passés avec la princesse. Leur première rencontre. Comment, déjà, à cet instant, il avait voulu la protéger de tout danger. De la vie qui serait peut-être trop dure sur elle, des gens qui lui voudraient peut-être du mal. Il avait voulu la protéger pour toujours mais voilà qu'elle était déjà si grande, sa princesse. Une adulte parfaitement capable de se défendre seule. Pourtant, quand il la prit dans les bras, c'était comme si elle était redevenue la petite princesse qu'il avait vu pour la première fois et lui, le jeune garçon encore trop innocent, qui se disait simplement qu'il voulait prendre soin d'elle. Elle avait beau avoir grandi, elle restait plus petite que lui et elle allait parfaitement dans ses bras, qui l'entouraient toujours aussi bien que lorsqu'ils étaient enfants, quand il voulait la calmer.

Alors certes, au fond, peu de choses avaient changées. Il était toujours son garde du corps, elle la princesse rebelle. Il était toujours le plus âgé, elle la plus jeune. Il était toujours le plus grand, elle la plus petite. Mais ce qui avait changé, c'était que leurs cœurs avaient grandi. Ils avaient bien vécu, leurs cœurs. Ils avaient aussi appris à battre un peu plus fort en présence de l'un et de l'autre. Du moins, pour Dohyun. Ses yeux se rouvrirent lorsqu'il apprit que Yeji faisait exprès de râler pour qu'il la prenne dans ses bras. Il ne savait pas. Il trouvait ça mignon.

« C'est vrai ? » demanda t-il sans vraiment attendre de réponse, un sourire tendre sur les lèvres. Quand il était encore enfant, il la voyait presque comme une petite sœur. Il la trouvait adorable et prenait soin d'elle. Il se rappelait de tous ces souvenirs, ces moments où il prenait la petite Yeji dans ses bras et qu'il avait peur de la lâcher, effrayé qu'elle puisse se remettre à pleurer à l'instant où il déciderait de la relâcher un peu. Alors il l'avait toujours tenue très fort, ne la lâchant jamais jusqu'à ce qu'elle finisse par s'endormir dans ses bras. Il n'avait jamais, jamais pensé qu'elle faisait exprès. Il finit par en rire. Sans moquerie, juste par amusement. Par tendresse. « Je n'ai jamais su. Il y a d'autres choses que tu faisais, comme ça, sans que je ne le sache ? » Car Dohyun était tombé amoureux d'elle bien plus tard qu'elle n'était tombée pour lui et il se demandait bien ce qu'elle avait pu ressentir à certains moments, quand lui pensait que ce n'était que de l'affection. Pas de l'amour.

Comme ça, serrée contre son garde du corps - son fiancé, même ? - le temps semble s'être arrêté. Blottie contre lui, le sentiment d'être protégée aussi fort que celui d'avoir fui les murs du palais, comme si les bras de Dohyun représentait un lieu à eux seul qui la séparent de sa prison dorée. Elle évoque ses souvenirs d'enfance avec un sourire nostalgique, à l'époque c'était une petite princesse chipie qui fuyait les dames de compagnie et les majordomes en se cachant dans des armoires ou des pièces improbables. Elle se dit qu'au fond rien n'a vraiment changé, plus grande mais toujours aussi rebelle, prête à tout pour échapper à la compagnie de ceux payés pour la suivre.
Sauf Dohyun.
Elle en oublie presque qu'il est de ces personnes qui reçoivent de l'argent pour la protéger, et qu'il est aussi le fiancé que sa famille a choisi pour elle. Le gendre idéal.
Pour elle, il n'a jamais été que son premier et unique amour.
"Oh oui, il y en a plein, mais si tu penses que je te les dirai toutes, tu te mets le doigt dans l'oeil."
Taquine jusqu'au bout, mais elle tient à garder son jardin secret. Dire à Dohyun tout ce à quoi elle a pensé à son sujet depuis qu'elle existe serait beaucoup trop embarrassant, et même les anecdotes pas gênantes qu'elle peut lui dire, elle préfère les garder pour une autre fois. Les dire dans un contexte naturel, plutôt que les réciter un par un pour répondre à une question.
"Quelle heure est-il, oppa ?"
Toujours serrée contre lui parce qu'elle ne veut pas vérifier elle-même ni s'écarter de lui, mais elle est obligée de revenir sur Terre. Elle n'a pas toute son après-midi de libre, éternel emploi du temps d'une princesse, et il sait très bien ce qu'elle a à faire plus tard puisqu'il doit l'accompagner.
Mais comment vont-ils se comporter après ça ?
Bien sûr, ils ne vont pas crier sur tous les toits ce qui vient de passer - malgré la tentation de le faire, que le monde soit au courant - mais vont-ils parvenir à dissimuler la joie qui les habite ? Elle est à peu près certaine qu'il y a des personnes qu'elle ne pourra pas berner - et n'en a pas l'envie non plus - à commencer par son frère.

Dohyun haussa un sourcil. Il lui aurait sûrement jeté un regard inquisiteur s'il n'était pas contre elle (et pour rien au monde il se détacherait d'elle juste pour lui lancer un regard). Il se contenta alors d'une petite moue qu'elle ne verra pas, pourra peut-être deviner. Sûrement, deviner. Ils se connaissaient bien trop pour ne pas savoir les réactions de l'autre. Mais quand même, il restait des zones d'ombres et Dohyun en était curieux. Garçon curieux, il voulait en savoir plus, surtout sur celle qu'il aimait. « Pourquoi pas ? On peut faire un échange d'informations. Je te donne une anecdote, tu m'en donnes une. Equivalent exchange. » Il sourit en biais comme s'il avait gagné, parce que oui, dans sa tête il était certain que Yeji en avait plus puisqu'elle l'avait aimé pendant bien plus longtemps que lui ne l'avait aimée. Mais il se mettait le doigt dans l’œil s'il pensait qu'il n'en avait pas beaucoup ; au contraire. Peut-être ne seront-ils jamais capables de se dire le nombre de moments où ils avaient pensé à l'autre différemment, parce qu'il y en avait trop.

Ce fut Yeji qui lui rappela l'heure et lui qui se rappela qu'effectivement, ils n'avaient pas toute la journée devant eux et qu'ils devraient peut-être se bouger, s'ils ne voulaient pas que la princesse soit en retard à son rendez-vous. Lui aussi avait des choses à faire, pour le coup. La vie d'un garde et d'une princesse n'était pas de tout repos, malheureusement. Enfin. Dohyun était content d'avoir du travail, bien sûr. Véritable accro au travail, il adorait ça. Il adorait surtout ça parce qu'il pouvait protéger Yeji. Être avec elle.
En l'occurrence, il comprit en voyant l'heure sur sa montre qu'il était l'heure pour qu'elle y aille. Pour qu'ils se séparent. Il déglutit, ferma les yeux en affirmant un peu plus son emprise. « 15h49. C'est l'heure d'y aller. » De se séparer, insinuait-il. Il ne le dit pas, le fit comprendre.
Malgré tout, comme lorsqu'on entendait le réveil sonner le matin et qu'on le laissait sonner deux-trois fois en plus juste pour rester un peu plus dans le lit, Dohyun resta contre elle quelques secondes de plus. Mais il n'était pas doté d'un super-pouvoir, il ne pouvait pas ralentir le temps. A contre cœur, il la relâcha et ses yeux tendres se posèrent sur sa silhouette. Un sourire vint automatiquement se former sur ses lèvres alors qu'il se tint droit, comportement d'un garde et non plus de son fiancé, amoureux. « Je t'accompagne. » C'était une évidence mais il le dit quand même. Puis il marqua une petite pause, ne bougeant toujours pas alors que normalement, il aurait déjà dû se mettre à marcher à ses côtés. « On pourra se voir quand tu seras libre ? » Quand tu seras Minseo, insinuait-il avec son petit sourire. Il ne le dit pas. Le fit comprendre.

Un échange d’anecdotes ? Un sourire moqueur apparaît sur ses lèvres et elle retient un rire en soufflant du nez. «  Un échange d’anecdotes ?! » répète t-elle en fronçant des sourcils à l’idée farfelue. «  Mais c’est trop bizarre de faire ça, oppa » Jamais elle n’a entendu parler de deux personnes qui échangent leurs anecdotes sur l’autre personne. «  Les anecdotes, ça se découvre petit-à-petit, spontanément, sinon ce n’est pas drôle ! » s’exclame t-elle finalement, bien décidée à ne pas en révéler plus pour aujourd’hui.
Puis le retour à la réalité se fait de plus en plus ressentir. Elevée à ne jamais oublier ses responsabilités, même dans cet instant-là, elle se rappelle qu’il faut qu’elle surveille l’heure. Elle sait qu’elle a quelque chose de prévu, et que même le moment le plus agréable du monde – celui qu’elle vit en ce moment – ne l’annulera pas. Et sans surprise, l’heure est arrivée d’y aller.
Elle sent en Dohyun la tentation de ne pas la laisser partir tandis qu’il la sert toujours aussi fort contre lui alors qu’il vient de dire qu’il est l’heure de partir. Au bout de quelques secondes cependant, il s’écarte et la fixe avec un regard qu’elle n’a encore jamais vu. «  Bien sûr » dit-elle en souriant. C’est ton job, a t-elle même envie de dire d’un air taquin – mais elle le retient.
Elle se met alors à marcher vers la direction et s’aperçoit qu’il ne la suit pas quand elle se tourne vers lui à la suite de sa question. Son sourire s’agrandit. «  La réponse me paraît évidente » Elle n’a jamais et ne refusera jamais de le voir. « C’est surtout toi qui a intérêt à être libre à ce moment-là » surenchérit-elle. «  Bon, allons-y ou ça va vraiment devenir problématique. » Cette fois-ci, elle se remet à marcher avec son garde du corps sur ses pas.