mélancolie de la mélodie dans les oreilles. les pupilles fixes. la langue glisse sur les lèvres, que la concentration soit reine de sa carcasse. il est assis sur un carton (dieu soit loué le micro-onde acheté d’occasion quelques jours avant) gouge qui sculpte doucement le bois. les copeaux tombent au sol. la table est basse, heureusement pour la chaise emballage. lunette de vue sur le museau, on ne se doute pas que l’artiste concentré est la racaille au grand cœur. son art, sa passion. c’est ce qui l’a ramené à la vie. d’un adolescent mourant, est né un adulte créant. ce qui lui a fait réalisé que, peut-être, il pouvait réussir sa vie (peut-être)

c’est une petite bague qui prend forme. il s’arrête, se laisse aller mais se souvient au dernière moment qu’il est assis sur. un. carton. et son cœur sursaute quand il manque de se casser la gueule en arrière. pas de chaise. pas de dossier. l’échine cassée. il a mal dormi. les cernes plus creusées qu'à la normale.

obsession de sa nuit, son rêve. elle était là. la voleuse qui le hante depuis tant d’années. son rire, son sourire. voleuse de cœur. voleuse de raison. parfois il rêvait (cauchemardait ?) de cette soirée. non celle qui l’a condamnée mais celle où il l’a rencontrée. et si c’était la même ? déjà en taule à la vue de ses larmes. il plaidait déjà coupable de respirer à ses côtés. cette bague, c’est ce qu’il voulait lui offrir dans son innocence naïve. une promesse. mais il n’avait songé à la créer. et puis, en se levant. c’est comme si tout était tracé dans son crâne.

depuis trois heures, il bosse dessus. presque finie, il joue avec, la faisant tourner en toupie autour de son index. la musique trop forte dans les écouteurs. il sourit et secoue la tête avant de poser sa révélation sur la table, entourée par les outils. il commence à graver des petites choses dessus avec une gouge adaptée. des jolis motifs floraux en cercle, qui font le tour du bijoux. minutieux, rien ne peut le sortir de sa concentration.

pas même saem qui débarque à l’improviste.

pour être honnête, yunwoo l’entend mais ne l’écoute pas. il est dans son dos, très certainement déjà avachi sur le canapé, comme à son habitude. à leur habitude. l’un chez l’autre, l’autre chez l’un. l’ancien taulard est très soucieux de son espace privé.

(après dix ans)

pourtant, c’est presque naturellement que le musicien est apparut sur son canapé, dans son frigo ou dans sa douche (quand la sienne est en panne, et inversement) et c’est tout aussi naturellement que yunwoo s’est invité chez son voisin, de la même manière. « oui, oui, j’ai de l’huile dans le placard, tu peux en prendre, ouais, là-bas… » pointe-t-il du doigt plus que distraitement, puisqu’il vise les toilettes avec son index. (pour sa défense, tout est entassé dans ces appartements) il n’enlève même pas les écouteurs. c’est aussi domestique que ça, entre eux. les politesses, elles ne sont plus nécessaire.

les veines qui sortent de ses bras, tant le matériel est difficile à imprimer. l’homme contre le bois. il souffle devant lui pour chasser les morceaux filés qui s’échappent à chaque passage de son outil. il se rend compte à un moment qu’il doit tout de même s’inquiéter de la présence de son voisin alors il retire (enfin) la musique qui détonne dans ses tympans et se retourne vers le canapé dans son dos. « tu disais quoi ? désolé, j’étais ailleurs. » dans la mélancolie de son art et de sa vie regrettée. il se tourne sur les fesses, le carton grinçant sous le poids non adapté, la bague entre les deux pouces puis il le regarde sérieusement. comme un air de demande en mariage raté. « c’est pas aujourd'hui, si ? » c’est qu’ils ont un rendez-vous particulier qu’il ne faut jamais rater, et toutes les semaines. ils ont commencés une série ensemble, quelque chose de très léger, à l’eau de rose même. mais yunwoo est presque sûr de ne pas être vendredi. (à moins que...) il ne sait même pas l'heure qu'il est, en fait. l'artiste absorbé. les écouteurs blancs qui pendent autour de sa nuque.

sourd à l’ennui de l’autre, perché sur son carton de prestige. la fameuse bulle dans laquelle s’enferme les artistes, l’excuse parfaite des introvertis comme yunwoo pour se séparer des autres. boule d’énergie secrète et domptée qui explose quand saem est dans les parages. il y a l’avant et après visite du voisin. sa sérotonine à lui. dix années d’écarts, pourtant le plus vieux est souvent collé au plus jeune, et vice-et-versa. ils ne se prennent jamais la tête. c’est juste naturel entre eux. des embrassades, des consolations, des prises de catchs sur le canapé de l’un, des soirées télé sur le sofa de l’autre. c’est d’ailleurs ces dernière qui rendent confus yunwoo sur le moment, ne sachant plus le jour qu’il est. ils ont commencés un nouveau drama il y a deux semaines et ils se réservent toujours le vendredi soir pour regarder plusieurs épisodes d’un coup, y passant parfois la nuit. c’est ainsi depuis plusieurs semaines, et trois séries y sont déjà passées. coréennes ou internationales. interdiction de regarder sans l'autre, sous peine de haute trahison envers le saint patron des voisins squatteurs de canapé et de compte netflix.

bois entre les mains caleuses de l’artisan, il regarde son voisin, affalé sur le canapé en tissu, d'une qualité douteuse. il sourit, le sourcil haussé, quand l’acteur d’en face commence sa tirade, puis se lève d’un coup. le rictus disparaît des lippes, yunwoo se recule de surprise, manquant de se ramasser par terre, tenant toujours dans un équilibre précaire sur un carton. « quoi quoi quoi ?? » sur la défensive, les bras en avant, légèrement (et faussement) effrayé par les soudains mouvements du cadet. il défit légèrement saem du regard, donnant un coup de tête en avant puis menton levé, un tu veux t’battre, gamin, sur le visage. même si saem ne le menace pas du tout et affiche, au contraire, une moue triste, abattue.

gobant les conneries de l’autre d’en face, il se lève à son tour, les bras en avant, prêt à consoler un gamin en pleure et aller lui acheter une glace. il fonce sur saem, posant (ou frappant plutôt, comme un marteau sur un clou) sa main sur la sienne, qui trône sur le petit cœur brisé et il le regarde droit dans les yeux, sérieusement désolé. « mec je suis désolé, j’ai mal dormi, je pensais pas que c’était aujourd'hui, j’te jure j’ai rien regardé depuis la semaine dernière alors on peut lancer les épisodes maintenant si tu veux, désolé m’en veut pas d’avoir oublié et … » il reprend son souffle. « poulet ? tteokbokki ?? j’t’offre ce que tu veux, cette semaine. » il se recule pour prendre son portable sur la table de son atelier du pauvre et le débloque pour chercher le numéro d’un restaurant. sauf que la date du jour tombe dans ses rétines, forcément. « … mais on est jeudi ? … » sa voix trahie, fragile. disgrâce. lui qui croit son ami instinctivement sur parole sans même vérifier.

film d’horreur, l’ambiance s’alourdi et yunwoo tourne doucement la tête vers le voisin de palier, comme possédé, les ombres sur son visage illuminé par le portable d'en dessous. « fuis. genre, vite, parce que j’vais passer en mode john cena pour cette ignoble trahison. » acteur studio. ce n'est pas forcément une scène rassurante à voir, puisque yunwoo se tient devant son atelier de sculpteur qui compte bon nombre d'outils étranges qui ont l'air assez tranchant. il range son portable et la bague en bois dans sa poche arrière et le fusille du regard, comme dans un bon vieux western. on ne sait plus trop quel genre de films c’est, à force.

une comédie romantique entre deux losers, assurément.