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@Khan Yeji

Le monde est effrayant.

Quelques jours étaient déjà passés depuis l’incident, depuis l’attentat. Le mot lui-même suffisait à la faire frémir, à lui faire perdre tout sens de rationalité, à remplir son cerveau de « et si… ». Rien ne lui servait d’émettre des hypothèses mais elle ne pouvait s’en y empêcher, surtout lorsque les vagues de panique venaient inonder son cœur et que l’impression de manquer d’air devenait de plus en plus pressante. Dans une tentative d’atténuer ses angoisses, Haeun s’était replongée dans son éducation dans l’espoir que si elle forçait son cerveau à se focaliser sur autre chose, les pensées qui tournoyaient dans sa tête la nuit cessent de l’obnubiler. Cela n’avait fait qu’empirer son état, et face à l’insistance de ses dames de compagnie elle s’était résignée à prendre quelques jours de repos afin de digérer la situation.

Mais que devait-elle digérer au juste ? Elle n’avait pas participé aux festivités et était sagement rester confinée dans sa chambre profitant d’un moment de quiétude pour commencer à apprendre un nouveau morceau au gayageum. On lui avait servi l’une des meilleurs tartes aux fruits qu’elle avait eu le plaisir de déguster, et le sentiment d’allégresse que sa satiété avait causé ne pouvait être décrit par aucun mot. Qui aurait pu penser qu’une telle tragédie se produirait en ce jour de festivités ? Quand l’information était parvenue jusqu’à elle, le monde avait semblé s’arrêter d’une façon similaire au jour de l’annonce du décès de son père. Puis quand elle avait vu sur son téléphone l’image des explosions, avait entendu les cris des gens, la panique s’était emprise d’elle et les larmes se déversaient déjà. Elle voyait les visages des proches qu’elle savait présents à l’évènement, mais quand bien même elle les suppliait de ne pas la laisser seule l’écran de fumée causée par les explosions les faisait disparaître, un à un.

Par rapport aux blessés, à ceux qui y avaient perdu leur vie, ses sentiments semblaient peu importants, elle, petite princesse privilégiée, protégée depuis sa naissance simplement de par son sang. Et peut-être que maman avait raison quand elle lui rapprochait d’être trop sensible.


Aujourd’hui, Haeun ne comptait pourtant pas se morfondre. Elle avait décidé depuis ce matin de rendre visite à Yeji afin de s’assurer qu’elle se porte bien, qu’elle soit en vie. Lorsqu’elle s’était renseignée sur son état auprès des intendants, on l’avait rassuré, avait mentionné des blessures mineures, mais l’adolescente ne pourrait les croire que lorsqu’elle l’aura vu de ses propres yeux. Incapable de dormir, ce fut tôt qu’elle se prit à arranger quelques fleurs d’hibiscus dans un vase, avant de se diriger bien plus tard vers les quartiers de sa cousine. Si la présence de gardes ne la surprenait plus depuis sa plus tendre enfance, leur nombre semblait rendre l’atmosphère pesante plus elle se rapprochait de son but. Lorsqu’elle eut atteint sa destination et que la permission lui fut donnée d’entrer, elle pénétra dans la pièce, une certaine appréhension remuant en elle.

Elle l’aperçut soudainement, cette silhouette si familière, et le soulagement soudain qui la submergea lui coupa le souffle.

« Y-Yeji… », tremblement d’une voix qui porta à peine. Elle était bien là, vivante, cette personne chez qui Haeun pouvait vanter ses peurs et ses frustrations. Trop de questions se précipitaient au bord de ses lèvres, mais elle ne fut en mesure que de tendre le vase rempli d’hibiscus avant de s’exprimer à nouveau d’une voix plus assurée.

« J’ai pensé que peut-être tu apprécierais avoir quelques fleurs. » pour te rappeler ces paysages, ce monde extérieur dont tu parlais avec tant d’entrain. L’idée semblait enfantine surtout en prenant en compte que les jardins du palais était sans doute plus beau que quelques brins arrangés en vitesse.
« Comment vas-tu ? »

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@Khan haeun

Plusieurs jours ont beau être passé, les souvenirs de l’attentat se font toujours aussi vifs et traumatisants. En fait, ce n’est même pas comme si elle se rappelait de tout ce qui s’était passé. Tout est flou, dans l’agitation et avec l’angoisse, elle n’arrive que très difficilement à faire un récit précis des choses qui sont arrivées. Mais les images les plus marquantes restent ancrées dans sa tête comme un chewing-gum à la semelle d’une chaussure. Les rires avec Saem juste avant l’explosion, les éclats de verre, les cris, la panique dans le regard de son meilleur ami, le sang de son meilleur ami - son sang à elle - l’absence de Yesun et l’inquiétude pour ce dernier qui la rongeait. En fait, plus que les images, ce sont les ressentis qui restent et réapparaissent par moment, comme si le cerveau oubliait que c’est terminé.

Elle comprend que la première réaction soit d’annuler tous leurs rendez-vous, de les garder au palais pour être certain qu’ils n’aient pas à vivre un nouveau drame. La décision est logique mais n’en reste pas un facteur d’angoisse supplémentaire pour l’oiseau à qui les ailes sont brisées. La présence de un ou deux gardes devant sa porte est une habitude mais sentir une dizaine de regards se tourner vers elle dès qu’elle quitte sa chambre pour manger ou n’importe quoi d’autre lui est inconnu et particulièrement é t t o u f f a n t. Elle est à peu près certaine que sortir lui ferait le plus grand bien mais elle est plus cloîtrée que jamais et dans ces circonstances, il n’est même pas envisageable de prendre sa perruque blonde pour devenir Minseo. Et enfermée dans cette prison dorée, le temps ne passe plus, l’éternelle sensation que l’attentat a eu lieu quelques heures avant seulement.

Cloîtrée dans sa chambre pour ne pas avoir à confronter le regard de tous ces gardes du corps encore plus attentifs que d’habitude, elle sursaute presque quand elle entend quelqu’un toquer. Elle se dit que c’est sans doute son frère, mais la voix féminine qui résonne pour affirmer son identité chasse cette possibilité. Elle permet à Haeun de rentrer dans sa chambre, se redresse de son lit dans lequel elle est affalée depuis des heures sur son téléphone. « Salut Haeun ! » Sourire absent, mais voix réellement ravie de la voir. Elle se lève et remet sa robe froissée d’un mouvement un peu furtif pour se diriger vers elle et enfin – pour la première fois depuis des lustres elle a l’impression – un léger sourire naît sur ses lèvres à la vision des fleurs tendues. Attention innocente et adorable qui fait fondre le coeur de Yeji d’une chaleur absente ces derniers jours dans l’enceinte du palais. «  Merci, c’est très gentil de ta part » répond-elle en prenant le vase pour le poser sur son bureau rempli de dessins froissés qu’elle a griffonnés pour s’occuper. «  Ça va, ne t’en fais pas » Elle ne souffre pas, du moins pas physiquement, même si les pansements à la jambe sont toujours visibles. «  Assieds-toi, c’est mieux » propose t-elle en s’asseyant elle-même sur une des chaises qui décorent la chambre immense. «  Et toi, comment tu vas ? » Sourire qu’elle veut réconfortant, Yeji n’a pas eu le temps d’y penser jusqu’à là mais l’idée la frappe maintenant - la pauvre petite a dû être particulièrement marquée par les récents événements. Si elle, à vingt ans, ne s’en remet pas, elle n’ose pas imaginer pour l’adolescente de quatorze ans à l’apparence si fragile.

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@Khan Yeji

Son cœur s’allégea à la chaleur de son ton. Pour Haeun, habituée à ce que sa présence passe inaperçue excepté lorsque des formalités lui devaient être adressées, il n’y avait pas plus agréable sentiment que de se sentir accueillie, que de constater que ses intentions ô combien innocentes et enfantines étaient acceptées, appréciées. Sourire qui s’épanouit comme un écho à celui de Yeji, joie presque capable de lui faire oublier la raison de sa venue. Presque. Car il n’y avait pas d’artifices en mesure de la distraire des bandages qu’elle entraperçut sur les jambes de sa cousine. Trop de cauchemars l’assaillaient la nuit pour que son inquiétude disparaisse malgré ces paroles voulues rassurantes.

« Bien. », répondit-elle brusquement avant de s’asseoir, elle aussi. Mensonge évident ne serait-ce qu’à la vue des cernes qui alourdissaient son regard, mais que dire alors que sa peau ne portait pas de traces. « Pourquoi ça n’irait pas ? Je n’étais pas aux festivités. Je n’ai même pas eu le courage de sortir de la journée. » Pathétique aveu d’une adolescente enchainée par ses propres peurs malgré tout ses efforts pour s’en défaire. C’était injuste pour elle de déverser ses sentiments alors même qu’elle n’avait été que spectatrice de l’attentat, stupide d’avoir pensé qu’elle aurait pu constituer une distraction quand elle n’était pas capable de dormir sans revoir les images des explosions. Elle aurait aimé prétendre savoir comment gérer ses émotions, mais tout ce qu’elle avait fait jusqu’à présent c’était de trouver des alternatives, des échappatoires plutôt que de faire face.

« J’entends encore les cris des gens. Parfois ce ne sont pas les stands qui partent en fumée, c’est le palais qui prend feu. Tout le monde disparaît comme mon père. » avoua-t-elle, mots dégringolant au rythme vertigineux de ses pensées. Ses doigts trouvèrent l’ourlet de sa jupe dans l’espoir de trouver le courage de ne pas fuir une nouvelle ses émotions. « Je suis juste soulagée que tu sois encore là. »

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@Khan haeun
Même l’insouciante Yeji décèle le ton du mensonge dans le bien que Haeun lui répond, mais elle n’est pas certaine que le souligner soit une bonne chose. Yeji elle-même ne veut pas montrer sa faiblesse, dire à quel point ce qu’elle a vécu l’a choqué, alors elle ne peut pas imposer à sa petite cousine de faire quelque chose qu’elle-même ne souhaite pas faire. Une attention qui est assez rare venant de la princesse, plus connue pour être une tête brûlée qui parle avant de réfléchir.

Elle est la première étonnée d’entendre Haeun parler de l’attentat en premier et aussi vite. Il est évident que l’ambiance du château en entier est atteint parce qui s’est passé et que cela a marqué les esprits de chacun. Il est facile de déceler les comportements qui ont changé, la peur qui se fait plus palpable qu’avant – pourtant, presque personne n’en parle. Comme si éviter le sujet allait faire oublier les images de l’attentat, comme si c’était un sujet tabou à ne surtout pas évoquer en présence, en tout cas, de ceux qui y étaient. Yeji n’a parlé de l’attentat qu’avec ceux qui y étaient aussi – Saem ou Yesun par exemple – et son garde du corps. En fait, pour être plus exact, elle n’a adressé la parole qu’à ces personnes-là ces derniers temps.

Dans ce que décrit l’adolescente de quatorze ans, Yeji se reconnaît. Elle aussi est hantée par les images de l’attentat dans ses rêves, et souvent ces derniers se terminent plus dramatiquement qu’en vrai. Par exemple, elle y voit le cadavre de son frère ou celui de Saem, d’autres fois elle se sent mourir et se sent impuissante face aux larmes de ceux qui la pleurent. «  C’est normal d’être choquée, ça n’a rien avoir avec le fait d’avoir été présente ou pas. Tu as totalement le droit de ne pas aller bien et d’être traumatisée rien que par les récits et les images montrées à la télévision. » Elle n’a jamais pensé que Haeun n’avait pas le droit d’aller mal juste parce qu’elle n’avait pas vécu la chose. «  Personne n’a le droit de te demander de rester forte dans de telles circonstances. » affirme t-elle d’un ton presque sévère, comme si elle en voulait à ceux qui ne se soucient que de ceux qui étaient présents et mettent de côté les autres.

Elle place ses mains sur les épaules de sa cousine, dans l’espoir que ce geste la console ne serait-ce qu’un peu. « Je suis soulagée que tu sois là aussi, Haeun. Tu as bien fait de ne pas être sortie ce soir-là, ça n’aurait rien apporté de bon. Personne ne t’en veut pour ça alors tu n’as pas à t’en vouloir pour ça non plus. » dit-elle dans une sorte de murmure qu’elle veut réconfortant. Elle ne sait pas si elle s’y prend bien, ni si elle est bien placée pour consoler qui que ce soit, mais elle ne peut pas laisser quelqu’un qu’elle apprécie dans une telle détresse.

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@Khan Yeji

Tremblement de ses mains qu’elle chercha à cacher en resserrant sa prise sur sa jupe en soie. Elle ne pouvait s’empêcher de craindre les mots qui suivraient l’avalanche de ses pensées, incapable de ne pas considérer la possibilité que ses émotions soient balayées d’un revers de la main, qu’elles soient considérées de trop. Elle ne pouvait se résoudre à en vouloir à ses intendants de ne plus prendre en compte ses humeurs, de n’écouter de ses états d’âme qu’un mot sur dix. Malgré l’habitude rien n’effaçait la douleur de s’entendre dire que tout ira bien, que sa sensibilité n’était résultat que de cette soi-disant crise d’adolescence et qu’avec un peu de repos tout rentrera dans l’ordre. Deux ans que ces discours ne l’étonnaient plus, que ses sourires se faisaient plus ternes, ses phrases plus concises.

Pourtant ces mots ne vinrent jamais. Haeun s’en voulut de ne pas pouvoir faire abstraction de cette crainte alors même que les heures passées en compagnie de Yeji lui avaient prouvé mainte et mainte fois qu’elle n’avait pas à avoir peur d’être elle-même en sa présence. Sa cousine était devenue au fil du temps un refuge où elle se pouvait d’être vulnérable quelques instants et où elle se savait écoutée. L’écouter l’amenait souvent à remettre en question les enseignements de sa mère, à voir la toxicité des pensées qui la blessaient. Ainsi il n’y avait pas meilleur remède à ses yeux que d’être assurée qu’elle était en droit de donner de l’importance à ses sentiments, en droit de guérir à son rythme. « Je ne me suis jamais sentie forte. Et ça prendra sûrement du temps avant que je ne l’accepte mais je crois que je n’ai pas envie de l’être. Je veux juste être moi, ne plus voir une étrangère dans le miroir. », confessa-t-elle. « Mais c’est difficile parce que je sais plus laquelle haeun est la vraie. » Dilemme qu’elle n’était pas près de résoudre de sitôt mais le simple fait de donner voix à ses inquiétudes était libérateur. Sérénité qui l’envahit au poids réconfortant des mains de Yeji sur ses épaules. En retour, Haeun ne put que lui offrir un sourire empli de gratitude. « Même si je suis consciente que je n’aurais rien pu faire de plus ce soir-là, c’est compliqué d’accepter n’avoir aucune utilité. » concéda-t-elle, adolescente oubliant souvent de vivre pour elle-même, bonheur prenant racine dans celui des autres comme une dépendance.

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@Khan haeun
L’adolescence n’est pas une période si ancienne pour Yeji et certains se demandent même si elle en est déjà sortie. Vingt ans est normalement un âge adulte mais son comportement de rebelle insatisfaite donne l’impression à beaucoup qu’elle sera une éternelle enfant incapable de comprendre les responsabilités qui l’entourent. Yeji, cependant, se sent parfaitement adulte et sait qu’elle a conscience de tout ce qui entoure son titre. Elle n’en a que trop conscience et c’est justement cette conscience de tout ça qui la pousse à se rebeller. Elle ne peut concevoir que des mœurs aussi anciens puissent perdurer en 2020 ; les temps changent et les traditions devraient être effacées. Malheureusement pour elle, tout le monde n’est pas du même avis ; et si lutter contre les traditions est considéré comme un acte immature, alors elle restera éternellement immature.

Bien qu’elle n’ait atteint l’âge adulte que depuis quelques courtes années, les souvenirs de son adolescence lui semblent flous. Elle ne se rappelle pas correctement de combien cette période est compliquée et trouble, combien tout est un mélange incertain de ce qu’on veut être, de ce qu’on peut être et de ce qu’on nous demande d’être. Mais être en présence de Haeun, qui est en plein dans tout ça, lui rappelle que la famille royale ne laisse le droit à personne de vivre son adolescence. Ne te demande pas ce que tu veux être, tu dois être ce que le peuple veut de toi. Mais Yeji n’est pas d’accord : sois toi-même et fais-toi apprécier pour ce que tu es. C’est ce qu’elle a toujours essayé d’enseigner à sa petite cousine mais elle sait que prendre cette voie n’est pas chose aisée. «  Personne n’a la même définition de ce qu’est une personne forte, de toute façon. Il y en a qui diront que ceux qui ne pleurent jamais sont forts, moi au contraire je pense que ce sont les plus faibles. Ils n’assument pas leur faiblesse et ça les rend encore plus faible que les autres. » Néanmoins elle sait son point de vue partagé par peu de personnes ; c’est sans doute pour ça qu’elle est montrée du doigt comme trop immature, trop rebelle, trop inconsciente. «  Je pense que ceux qui sont les plus forts sont ceux qui luttent pour rester eux-mêmes et ceux qui y parviennent. Alors, tu vois, pour moi Haeun, tu es quelqu’un de très fort. » Léger sourire qui se veut rassurant sur son visage. «  Tu es encore jeune, tu as le temps pour savoir qui est la vraie toi et pour te trouver une utilité précise. Ne rentre pas dans le jeu de la famille qui veut que tu grandisses rapidement. Prends ton temps pour élucider ces mystères et devenir une adulte, sinon tu ne seras jamais que l’ombre de toi-même. » Elle ne sait pas si ce qu’elle dit est clair mais parler à sa petite cousine de telles choses lui permet d’oublier toutes les images qui la torturent depuis des jours. Ça lui rappelle que peu importe ce qui s’est passé, le temps continue de couler.

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@Khan Yeji
Forte ; l’était vraiment ? Elle, la petite dernière de cette longue lignée, celle que les cercles sociaux pensaient manipulable au point de ne plus s’en cacher, car elle avait été depuis longtemps cataloguée comme naïve. Et elle l’avait été, naïve. Elle avait vu la vie en rose jusqu’à ce que la mort ne s’y invite, s’était convaincue qu’aimer le monde suffirait à être appréciée, choyée. Qu’il lui suffît d’être bienveillante, élégante, de suivre ces protocoles à la lettre quand bien même leur sens lui échappait, afin de recevoir les honneurs. Innocence que de croire en ces vielles traditions alors que le monde était, en termes de valeurs, à des siècles de ces dernières, que d’attendre le prince charmant de ses comptes de fée avec l’espoir que ce soit lui qui vienne la libérer. L’envers du décor n’avait cependant rien de féérique, au contraire. Quelle liberté pouvait-elle rêver en tant que princesse ? Comment devait-elle se construire quand tout était décidé à sa place ? De ses apparitions publiques à son futur fiancé, à quoi bon s’imaginer un futur où la décision prise ne sera pas sienne. Royauté geôlière à l’amour insincère et Haeun ça la détruit.

« J’ai dû mal à accepter le fait que la famille cherche à nous formater, que présenter un front uni devant les caméras soit la seule inquiétude qui nous rassemble. Et peut-être est-ce une pensée innocente, mais j’ai toujours voulu croire que tout ces sourires n’étaient pas qu’un jeu de mascarade et qu’il y avait un peu d’affection derrière toute cette façade. Qu’il y avait une raison à ces protocoles, ces attentes, que c’était avant tout pour le bien du peuple. » confessa-t-elle. Réalisation tardive ou peut-être l’avait-elle toujours su, désir de se voiler la face pour ne pas y réfléchir.  Jusqu’à maintenant elle avait été obéissante ; pour satisfaire, pour plaire. Incapacité de décevoir, d’être la raison d’une affliction, expliquée par le simple fait que son bonheur prenne racine dans celui des autres. Mais respecter les règles ne l’avait pas rendue heureuse, loin de là. C’était devenu une autre pression, course à la perfection sans fin.

« Est-ce qu’on est destinés à rester des pions toute notre vie ? Est-ce que ça vaut le coup de se battre pour gagner un semblant de liberté ? » demanda-t-elle.

Enchaînés, ils étaient. Et elle saisissait désormais pourquoi tout le monde trouvait de la félicité dans ces rares moments où ils étaient libres de quitter les confins du palais. Opportunité arrachée.

« J’espère que l’incident ne sera pas brandi à tort comme excuse pour nous enfermer sous prétexte de nous protéger. »

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@Khan haeun
Les relations de la famille Khan sont particulièrement complexes et ça, Yeji l’a vite compris. Sans trop savoir comment ni pourquoi d’ailleurs : peut-être est-elle née avec l’idée qu’il fallait se méfier de la famille. Ou bien quelqu’un lui a t-il enseigné si jeune qu’elle ne s’en rappelle même plus. Ça lui semble très probable. Après tout, c’est une princesse de la branche principale et cela amène forcément encore plus de trahisons. Sans doute lui a t-on répété depuis toujours que la famille n’est pas toujours une alliée. En tout cas, ce qui est certain, c’est qu’on a essayé de lui enseigner comment faire de sa famille un allié ; comment manipuler les gens pour les avoir de son côté.

Mais Yeji n’a jamais voulu accepter de prendre part à ce petit jeu. Elle comprend l’importance de sourire devant les caméras, parce que montrer au peuple les liens corrompus de la famille ne peut rien amener de bon, mais elle n’a pas l’intention de jouer un rôle dans les bagarres familiales. Yeji se bat pour elle, pour sa liberté, celle de son frère, celle de ceux à qui elle tient. Elle ne se bat pour les Khan, ni pour le pays. « Il n’y a rien de sincère ici, Haeun » annonce t-elle avec peut-être trop d’honnêteté. « L’argent, le pouvoir, la classe sociale, ça corrompt tout le monde. Tout le monde est prêt à tout pour être le plus important. Des gens sincères, il n’y en a qu’une poignée, et crois-moi, ce n’est pas au sein de notre famille que tu vas trouver l’affection que tu recherches. » Bien sûr qu’il y a des gens biens, chez les Khan. Yeji s’entend bien avec une majorité de ses frères, sœurs, cousins et cousines. Mais la vérité, c’est que chacun est détruit à sa façon, de son côté.

« Je ne sais pas si j’obtiendrai un jour la liberté que je désire, mais je sais que je n’abandonnerai jamais mon combat. » dit-elle en regardant sa petite cousine, une lueur enflammée dans les yeux. « Je préfère me battre toute ma vie en vain que d’accepter d’être utilisée sans rien faire. » Et c’est une question à laquelle elle a longuement réfléchi, à laquelle elle réfléchit parfois encore. « Et si mon combat ne me sert à rien, si au final je finis emprisonnée comme les autres, j’ose espérer qu’il servira aux prochaines princesses. » Elle sourit en disant ça. Elle espère que Haeun pourra se libérer elle aussi.