Son téléphone, ou sa seule échappatoire dans cette prison dorée. Passer son temps dessus pour y lire des choses inutiles, envoyer des messages à ses amis les plus proches pour avoir la sensation que sa sociabilité n’est pas arrachée. Ses journées se résument en grande majorité à rester enfermée dans sa chambre et jongler entre le téléphone et le dessin, ce qui la rend folle.

Ce n’est pas que le palais est un endroit désagréable. Tout est confortable ici et la présence de son frère est une grande aide au milieu de tout ça. Mais l’ambiance est trop étouffante. Comme si le palais entier était resté bloqué au jour de l’attentat, tout le monde ne pense qu’à ça – elle la première – et la peur est palpable. Tout ce qu’elle veut, c’est sortir. Mettre le nez dehors, que ce soit en tant que Minseo ou en tant que Yeji, mais personne n’accepte son caprice. Sortir est trop dangereux. Les risques d’une autre attaque sont trop présents. Toujours la même réponse et elle se sent étouffée, séquestrée entre les murs dorés et suivie par la dizaine de gardes du corps.

Le seul moyen qu’elle a trouvé pour se changer les idées, effectif bien qu’éphémère, c’est rencontrer des personnes extérieures au palais. Les inviter à l’intérieur. Mais là encore, ce n’est pas chose aisée. Si elle a réussi à faire venir Saem en soulignant que c’est lui qui l’a sauvé lors de l’attentat et qu’il mérite donc amplement le droit de venir la voir prendre de ses nouvelles, elle ne peut pas utiliser cet argument pour tout le monde.

C’est pour ça qu’en plein milieu de cet isolement trop long, apprendre que Mia va pouvoir lui rendre visite dans la journée a été un réel rayon de soleil. Elle sait que sa meilleure amie était là lors de l’attentat. Elles en ont déjà parlé très rapidement par messages. Elle sait aussi que depuis, elle subit comme elle la surprotection de son père – ce qui rend sa venue ici encore plus incroyable.

Quelqu’un qui toque à la porte de sa chambre et Yeji se lève si vite qu’elle manque de trébucher. Elle ouvre la porte avec un grand sourire qu’elle n’a pas affiché depuis des jours, mais Mia lui a énormément manqué et la revoir représente vraiment beaucoup pour elle. «  Mia ! » s’exclame t-elle avec un soulagement tellement grand qu’il pourrait paraître exagéré. «  Tu veux rentrer dans la chambre ou on va dans le jardin du palais ?? » Sa question est peut-être posée trop vite – elle devrait lui demander si elle va bien, quoi de neuf avant – mais elle estime que tout ça peut bien attendre le temps de trouver un endroit où se poser pour discuter ensemble après autant de temps..

elle se sent redevenue gamine. les murs de leur villa de keijo la séparent du monde extérieur ((et de la liberté)). elle tourne en rond dans sa cage dorée, mia - ne sait pas faire taire les pensées intrusives qui assaillent son esprit. trop longtemps la demeure à l’allure accueillante a été sa prison, et elle se sent perdre le contrôle. les souvenirs de l’anniversaire du roi se jouent en boucle dans son esprit. elle sent encore le palpitant s’agiter dans sa poitrine, l’angoisse la submerger en se remémorant la foule affolée. et quand bien même parviendrait-elle à oublier l’espace de quelques instants, son bras est là pour le lui rappeler. malgré tout elle fait partie des chanceux - mais la gratitude ne l’écrase pas, car privée de danse pour quelques douloureuses semaines, c’est sa santé mentale qu’elle a l’impression de perdre. hanseong entière a été blessée, coupant le temps autrefois si fluide entre un avant et un après bien distincts. paternel surprotecteur, le patriarche teji l’empêche maintenant de sortir si elle n’est pas flanquée de plusieurs gardes ((comme si ça pouvait changer quelque chose)). et elle comprend presque la naissance de minseo à présent. non pas qu’elle l’avouerait jamais, trop inquiétée pour la santé de sa meilleure amie.

et c’est elle la lumière de sa journée. évidemment qu’elles ont pu parler depuis l’incident ((merci le vingt-et-unième siècle et ses technologies)). mais rien ne vaut le fait de se voir réellement pour dissiper les cauchemars. elle a l’impression de vivre dans un microcosme où l’attaque envahit tout l’espace. les mêmes images passent en boucle aux informations, les mêmes discours sont tenus jour après jour. et qui aurait pu penser qu’il existait finalement une limite aux sources de distraction que internet peut offrir. mais aujourd’hui, sa majesté haejo ((long live the king)) a requis la présence de ses plus proches conseillers au palais et mia en a profité pour supplier son père de l’emmener avec lui. certaines choses ne changent jamais, ne peut-elle s’empêcher de penser en fuyant son père à peine sortie de leur voiture. le palais a beau être immense, elle a l’impression d’en connaître par coeur les moindres recoins. des années de pratique à courir derrière la petite yeji qui cherchait à tout prix à échapper à ses gouvernantes. et c’est naturellement qu’elle trouve le chemin de sa chambre. elle a à peine le temps de toquer que la porte s’ouvre à la volée, dissipant les doutes, si elle en avait, que son amie est tout aussi ravie qu’elle de la voir. « votre altesse! » s’exclame-t-elle en retour - et le titre a dans sa bouche plus le ton d’une plaisanterie. « dans le jardin par pitié, j’ai vu assez de murs pour une éternité. » .

Toute excitée à l’idée de passer l’après-midi loin de cette ambiance morbide, aux côtés de sa meilleure amie, elle en oublie de lui demander les banalités et une grimace amusée vient décorer son visage à l’entente de son titre. Votre altesse, qu’est-ce qu’elle déteste quand on l’appelle comme ça. « Je pense que tu as parfaitement raison ! » Yeji aussi est étouffée par les murs de sa chambre, par les murs du palais, mais le jardin ne lui offre qu’un mince réconfort, lui-même entouré par les murs de garde du corps qui la suivent partout. «  Il va falloir faire avec leur présence malheureusement » En disant ça, elle jette un regard dénonciateur vers la hourde de garde du corps au visage insensible qui écoute leur discussion sans aucune pudeur. « Ils sont obligés de me suivre partout » Et elle ne se prive pas de parler bien fort avec une voix qui montre à quel point ça l’agace. Elle se fiche que ça puisse être insultant envers eux, qui ne font que leur travail. Elle n’en peut plus d’être suivie partout où elle va et est à chaque instant à deux doigts de leur demander : vous pensez vraiment que vous allez pouvoir y faire quelque chose si il y a un attentat maintenant ?! Eux qui ont été si inutile au moment M.

Chassant sa mauvaise humeur d’un mouvement de tête, elle se met à marcher en direction de l’ouest, vers les jardins, aux côtés de Mia. «  Enfin, tu sais ce que c’est » Sourire complice de deux jeunes femmes sur-protégées. « Alors dis-moi tout, comment tu vas ? » La question paraît un peu faussée ; elle sait très bien que ça ne va pas fort du côté de sa meilleure amie non plus. En fait, elle a l’impression que la pays entier ne va pas bien depuis l’attentat, mais veut parler comme si tout était parfaitement normal. Enfouir ce poids à la gorge qui l’étouffe pour agir comme avant – avant quoi ? Un regard furtif lancé vers les gardes du corps qui les suivent et elle ne peut s’empêcher de lever les yeux au ciel. Incapable de faire abstraction de cette surveillance, sentiment d’être encore et toujours cet oiseau en cage – mais cette fois-ci, en cage avec un autre oiseau, pour lui faire oublier les barreaux.

à peine ses yeux se posent-ils sur sa meilleure amie que son humeur s’en trouve miraculeusement améliorée. yeji soleil, depuis toujours. gamine lumineuse qui n’avait que faire du regard des autres et des moqueries qu’elle ne pouvait faire taire sur son passage - ces voix qu’elle entend parfois encore quand elle se regarde dans le miroir. elle lui avait offert la main tendue qu’elle ne saura jamais oublier, celle qui lui a donné son semblant de confiance en elle. ((quand tout est sombre c’est vers elle qu’elle veut se tourner)). aussi la séparation a été éprouvante, et les angoisses plus difficiles à dissiper avec un téléphone pour toute source de contact. bien qu’habituée aux aléas de l’emploi du temps royal de son amie, l’enfermement a été une variable nouvelle suite aux derniers incidents. heureuse d’enfin la retrouver, elle la taquine, son titre officiel sur le bout des lèvres - mais pour elle, elle représente bien plus que son devoir envers le royaume. elle est sa bouffée d’oxygène au milieu d’une journée suffocante. « j’ai toujours raison, tu devrais le savoir. » rétorque-t-elle avec un sourire malicieux sur le coin des lippes face à la remarque de yeji. et l’espace d’un instant, elle a l’impression que tout est comme avant. leurs rires insouciants résonnent entre les murs tandis qu’elles tentent de trouver un endroit agréable du jardin où profiter des derniers rayons de soleil avant l’automne.

mais l’illusion ne dure pas, pas avec les gardes qui les suivent de ((trop)) près. et yeji ne manque pas de leur faire savoir. mia reste silencieuse, se contentant de la suivre. cette surveillance constante est nouvelle pour elle, pas quelque chose qu’elle a connu toute sa vie. et si les gardes la mettent mal à l’aise, elle n’est pas encore assez familière pour se permettre de leur faire savoir. heureusement, entre les multiples fontaines, arbustes et autres fleurs qu’abritent le jardin, elle trouvent rapidement un endroit où faire abstraction de leur présence pour discuter tranquillement. « je vais bien. » murmure-t-elle en réponse à sa question, mais la conviction n’y est pas vraiment. « je suppose que j’ai eu de la chance de m’en tirer avec un simple bras cassé, mais être enfermée et ne pas même pouvoir danser…. » pas la peine de terminer sa phrase, son amie sait à quel point la danse compte pour elle. elle s’en veut un peu d’avoir l’air ingrate, alors que certains ne s’en sont pas sortis. alors elle enchaîne. « mon frère est rentré avant, il s’est pris le sermon du siècle pour m’avoir laissée seule, comme si c’était de sa faute. » elle ne peut s’empêcher de sourire en repensant à l’air dépité de son aîné habitué à en prendre pour son grade. « et toi comment vas-tu ? est-ce que yesun va mieux lui aussi ? » demande-t-elle en retour. elle sait que le frère jumeau de son ami a été blessé plus sévèrement qu’elle, espère sincèrement que son état s’améliore. elle n’a qu’une envie mia, c’est de pouvoir bientôt laisser cet incident dans le passé, voir ses proches guérir et recommencer à vivre sans avoir peur au moindre son trop bruyant. elle a l’impression qu’à chaque fois qu’elle baisse sa garde, les événements se rejouent dans son esprit. et elle est fatiguée, a envie d’oublier. elle sait que yeji aussi, alors elle essaie de parler d’autre chose. « mon père est bizarre en ce moment, du genre trop gentil comme s’il se préparait à me demander quelque chose qui ne va pas me plaire. » au début, elle pensait qu’il avait simplement eu peur pour elle. mais son comportement s’était poursuivi même quand ses blessures s’étaient avérées n’être que mineures et passagères. elle a la sensation étrange que quelque chose se trame dans son dos, a entendu plusieurs fois le nom d’un certain khan revenir dans la discussion. et elle ne sait pas quoi en penser.

Grimace furtive qui apparaît sur le visage de Yeji quand sa meilleure amie prétend avoir toujours raison. Elle ne dit pas verbalement qu’elle en doute, mais son expression facile parle à sa place : les sourcils haussés vers le haut, qui veulent dire « ah ouais ? ». Mais plutôt que rentrer dans son jeu, elle préfère changer de sujet et se plaindre de la surveillance dont elle est victime. Yeji le répétera autant de fois qu’il faudra : elle préfère mourir libre que vivre enfermée. Malheureusement, ce n’est pas la pensée de son père, ni de tous les autres membres de sa famille.

La réponse de Mia traduit à quel point elle ne va pas bien, mais la princesse s’en doutait. Sa question sonnait fausse. Dans de telles circonstances, personne ne va bien, pas même elle, et poser la question relève de la stupidité. Elle aurait dû parler d’autre chose ; du beau temps par exemple. « Je sais ce que c’est » acquiesce Yeji d’un air dépité. Elle aussi comprend qu’elle devrait s’estimer heureuse de s’en sortir avec des blessures superficielles, mais parfois elle se surprend à se demander si elle n’aurait pas préféré y rester. Pensée folle, elle en a bien conscience, mais que faire quand dans chacun de ses rêves elle revit cet instant, revoit les corps écrasés. « Il faut bien faire culpabiliser quelqu’un, c’est plus simple comme ça » répond-elle avec un brin de rancœur dans sa voix. Le garde du corps de Yeji aussi en a pris pour son grade ; le pauvre est tombé malade pile ce jour-là, en quoi est-il fautif ? « Oh, moi, ça va, si ce n’est que chaque instant dans ce palais m’étouffe et me tourmente. » Elle prend un ton théâtral, exagéré, dramatique, pour rendre ça comique ; mais c’est bien ce qu’elle ressent. « Quant à Yesun… oui, j’imagine qu’on peut dire que ça va mieux. » Sa voix et son regard s’éteignent un peu en disant ça. Physiquement, ses blessures s’arrangent. Mais Yeji a toujours eu l’impression que Yesun était un vase sur le point d’être brisé, et cette impression s’est accentuée ces derniers temps. « De toute façon, on n’a pas d’autre choix que faire avec » reprend-elle en souriant de nouveau, air joyeux un peu forcé pour alléger l’atmosphère. Mia semble comprendre le message et dérive le sujet ; tant mieux, parce que pour une fois, la princesse n’a pas envie de parler de cet accident. « Mh… c’est louche ça. Tu as une idée de ce qu’il pourrait te demander ? » demande t-elle en regardant sa meilleure amie d’un air sérieux.

éternel oiseau enfermé dans sa cage dorée, yeji ne rêve que de s’envoler et elle n’en garde pas le secret. une notion étrange pour mia, la docile mia qui a toujours fait exactement ce que l’on attendait d’elle. des airs timides de rébellion dans ses tenues extravagantes ou ses cheveux colorés, mais au fond, elle reste une poupée qu’il est si facile de manier. innocence à peine teintée par toutes les idées folles dans lesquelles sa meilleure amie l’a traînée au fil des années. mais elle commence à comprendre à présent, ce qu’elle a pu endurer toute ce temps où elle souffrait en silence, élaborant le personnage de minseo dans le plus grand des secrets, enfermée dans une tour d’ivoire à la hauteur inaccessible. aussi, elle se préserve bien de marquer toute désapprobation quant à son attitude envers les gardes. elle aussi ils l’étouffent, elle aussi elle aimerait oublier. et pourtant les attentats restent sur toutes les lèvres, comme si malgré la volonté de s’évader, personne n’était tout à fait prêt à passer à autre chose. peut-être parce qu’il manque encore un coupable. blâmer son frère qui l’a laissée seul ou le garde malade de la princesse ne leur permet pas de se sentir plus en sécurité. « je suppose que personne n’aime se sentir aussi impuissant. » elle a goûté au sentiment dernièrement, entre les quatre murs de sa chambre, incapable de faire quoi que ce soit d’autre que ruminer ses pensées sombres. les paroles de yeji sur l’état de santé de son frère apportent au moins un peu de lumière à cette conversation morose. « je suis heureuse de savoir qu’il va mieux. » elle sait que son amie s’est énormément inquiétée pour lui, même si elle essaie de ne pas trop le montrer. et elle ne peut que comprendre, les quelques heures où elle-même ignorait où se trouvait son frère lors de l’incident ont sans doute fait partie des plus longues de sa vie. sauf que dans son cas, les nouvelles ont été porteuses d’un soulagement immédiat plutôt que d’inquiétudes supplémentaires. et des inquiétudes, elles en ont sans doute eu suffisamment pour les prochaines années à venir, aussi mia tente de changer le sujet. ses paroles se veulent légères, mais au fond, cette conversation la perturbe tout autant. « il parle d’organiser un rendez-vous arrangé avec le prince noha. » la question avait été amenée de manière subtile. son père se contentant d’abord de mentionner le prince et son travail en sa présence, dans l’attente d’une réaction, avant de peu à peu imposer l’idée d’une rencontre dans son esprit. si elle avait d’abord pensé qu’il ne s’agissait que d’une lubie passagère, elle perdait peu à peu l’espoir de parvenir à y échapper. « mais je ne suis pas sûre que ça s’arrêtera après un rendez-vous. » ajoute-t-elle un brin résigné. et yeji le sait sans doute mieux que quiconque.